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    2ème partie - 2

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      Le lendemain matin, la grande porte du hangar s’ouvrit et un homme entra, suivi d’un gros chien aux yeux bleus et au pelage blanc et marron. Chikou se savait à l’abri sur son tas de paille qui montait jusqu’au toit. Il observa l’homme qui faisait sortir une par une les grosses bêtes à corne tandis que le chien s’activait à les pousser vers l’extérieur une fois celles-ci détachées. Curieusement, ce dernier n’avait pas remarqué sa présence. "Sans doute à cause de l’odeur forte qui règne en ce lieu" pensa t-il. <o:p></o:p>

    Une fois seul, après que l’homme eut refermé la porte derrière lui, Chikou descendit de son perchoir. Il avait toujours aussi faim et il fallait se mettre sans plus tarder à la recherche d’une nourriture quelconque pour apaiser ses crampes d’estomac. <o:p></o:p>

     Mais, approchant de la gamelle, il vit le chien, couché prés d’elle, qui l’observait. Il le regardait, sans bouger, sans manifester la moindre intention belliqueuse. Chikou ne savait que faire. Sa faim le poussait à avancer mais la présence du chien représentait un obstacle à ne pas dédaigner. Il s’assit à bonne distance et ils s’observèrent tous les deux pendant un long moment. Bizarre que ce chien n’aboie pas…  Très lentement, poussé par son estomac qui criait famine, Chikou franchit la distance de sécurité minimum. Impassible, le chien le regardait toujours. Tendu à l’extrême afin de déguerpir comme une flèche si nécessaire, Chikou se raidit en entendant une grosse voix de basse lui parvenir.<o:p></o:p>

     - Approche, approche, n’aie pas peur ! D’ou sors tu ?<o:p></o:p>

     Pas très rassuré, Chikou ne répondit pas tout de suite. Un chien qui parle à un chat, c’était bien la première fois !... Dans la zone, les chiens aboyaient et lançaient aussitôt la poursuite, sans préavis. Celui-ci semblait pacifique, mais il valait mieux se méfier.<o:p></o:p>

     - Tu es muet ? Moi, c’est Bingo, et toi ?<o:p></o:p>

     - Heu, Chikou…<o:p></o:p>

     - Et bien Chikou, que fais tu par ici ? D’où viens tu ?<o:p></o:p>

     -Je suis arrivé ici…, par hasard et….j’ai faim …<o:p></o:p>

     Un semblant de sourire fit bouger les longs poils du museau de Bingo.<o:p></o:p>

     - Désolé, tes collègues ont fini ma gamelle.<o:p></o:p>

     - Mes collègues ?<o:p></o:p>

     - Oui. Les trois chats qui vivent plus ou moins avec nous, à la ferme. Je dis plus ou moins car il arrive souvent qu’ils disparaissent  plusieurs jours. Ils ont la bougeotte. Mais ils reviennent toujours. Mon maître s’en fout des chats. Il ne leur donne rien à manger. Alors ils finissent ma gamelle. Moi, il me nourrit car je suis utile. Je surveille les vaches, je les sors le matin, je les rentre le soir, je les empêche de se perdre. En échange de ces services, je suis nourri.<o:p></o:p>

     - Les vaches ?<o:p></o:p>

     - Ce sont les grosses bêtes que tu vois, là bas, dans le pré. Imposantes mais inoffensives. Aucun intérêt. Elles donnent leur lait au maître et ensuite elles disparaissent après avoir nourri leur veau. Voila ! Tu n’as jamais vu de vache ?<o:p></o:p>

     - Non, je viens de la ville.<o:p></o:p>

     - Ya une ville par là ?<o:p></o:p>

     - Oui, mais loin. Tu ne bouges jamais d’ici toi ?<o:p></o:p>

     - Non. Pourquoi faire ? Ici je mange, j’ai de l’espace, tout est pour le mieux. Mais viens avec moi…<o:p></o:p>

     Rassuré par le ton de cette conversation, la grosse voix de Bingo n’étant pas agressive mais plutôt apaisante, Chikou suivit Bingo.<o:p></o:p>

     Ils parvinrent jusqu’à une petite cabane attenante à l’étable dont la porte branlante ne fermait pas. Le corps massif de Bingo élargit l’ouverture et ils pénétrèrent dans un petit espace ou plusieurs seaux en laiton jonchaient le sol. Un parfum agréable parvint aux narines de Chikou. S’appuyant sur  ses pattes de devant il renversa l’un d’eux et se mit à laper goulûment le liquide blanc répandu sur le sol.<o:p></o:p>

    - Tes collègues apprécient beaucoup le lait. Alors j’ai pensé que tu aimerais, toi aussi, dit Bingo. Il en reste toujours un peu au fond des seaux quand le maître les range après la traite des vaches.<o:p></o:p>

     - C’est délicieux ! répondit Chikou en se léchant les babines…Sucré, parfumé…. Je n’aurais jamais pensé trouver ici un pareil nectar…Depuis que je suis parti, je n’ai pas souvent mangé à ma faim, tu sais. Merci Bingo, c’est la première fois que je rencontre un chien gentil qui ne me court pas après…<o:p></o:p>

     - Bah, courir après les chats ne m’a jamais amusé. C’est fatiguant et c’est idiot parce que ça ne sert à rien. Au début, j’ai fait comme les autres, j’ai poursuivi tes collègues… Mais ça ne m’amusait pas. On ne les attrape jamais, les chats. <o:p></o:p>

    - Je suis bien de ton avis. Mais pourquoi alors tous les chiens que j’ai rencontré poursuivent ils les chats ?<o:p></o:p>

    - Je sais pas…c’est comme ça ! Parce que ça s’est toujours fait. Je sais pas. En tout cas moi, j’y ai renoncé. Et puis j’aime bien parler…<o:p></o:p>

    - Chikou pensa à Zara. Depuis la nuit des temps, les chats poursuivent les souris, les chiens courent aprés les chats. Comme ça ! Sans savoir pourquoi. Mais Bingo, lui, non. Ça ne l’amusait pas. Point ! Décidément, il y avait des exceptions partout. Et lui, en était une aussi, sans doute…<o:p></o:p>

    - Tu ne trouves pas idiot que tes semblables cherchent à attraper les chats puisqu’ils ne les mangent pas ? Nous on court après les souris, pour jouer d’abord bien sur, mais à la fin on les mange. C’est quand même plus logique non ?<o:p></o:p>

    - Oui, peut être…Mais pourquoi tu penses à ça ?<o:p></o:p>

    - Je sais pas. J’aime bien comprendre…<o:p></o:p>

    - Comprendre ? Pourquoi faire ? C’est pas de comprendre qui va te nourrir…<o:p></o:p>

    « Tiens » se dit Chikou, « une réflexion à la Joss…» et, en lui-même, il sourit.<o:p></o:p>

    - Tu as raison Bingo. Comprendre ne nourrit pas. Mais maintenant que j’ai apaisé mon estomac, mon esprit recommence à fonctionner. Autrement dit, il y a toujours  quelque chose en mouvement chez moi, dit Joss en s’étirant, ce qui signifiait pour un chat, un moment de détente ponctué d’un sourire.<o:p></o:p>

    - T’es un rigolo, toi ! dit Bingo. Bon, faut pas rester là. Déjà que t’as renversé un seau, mon maître va s’en apercevoir et, comme il ne te connaît pas, ce sont tes collègues fugueurs qui vont morfler…<o:p></o:p>

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    Après une nouvelle nuit passée dans la grange, couché en boule sur son tas de foin, souvent réveillé et excité par les jeux des deux petites souris insouciantes qui gambadaient sur le sol, Chikou revint voir Bingo. Il le trouva allongé prés de sa gamelle après avoir aidé son maître à sortir les vaches et à les conduire dans le pré.<o:p></o:p>

     Il ne semblait pas très en forme. Chikou s’approcha de lui et demanda :<o:p></o:p>

    - Ça n’a pas l’air d’aller Bingo. Quelque chose ne va pas ?<o:p></o:p>

    - Mon maître m’a crié dessus. Il m’a tapé. <o:p></o:p>

    - Pourquoi ?<o:p></o:p>

    - Parce qu’il a vu que c’était moi qui avait ouvert  la remise<o:p></o:p>

    - Comment ça ?<o:p></o:p>

    - Il m’a montré. La porte était restée grande ouverte. Il a pensé que c’était moi…<o:p></o:p>

    - Mais c’est pas juste !…<o:p></o:p>

    - Juste ? Ça veut dire quoi, juste ?<o:p></o:p>

    - Et bien… que ce n’était pas de ta faute…<o:p></o:p>

    - Le maître l’a dit. Et le maître commande…<o:p></o:p>

    - Tu trouves normal de payer pour un autre ?<o:p></o:p>

    - Mais qu’est ce que tu racontes à la fin ? Je comprends rien à tes questions.<o:p></o:p>

    - Bon, c’est pas grave…<o:p></o:p>

    - En tout cas, la prochaine fois, si tu veux du lait, tu iras seul. Comme tes collègues. Maintenant tu connais le chemin.<o:p></o:p>

    - Oui, ne t’en fais pas… Je vais faire un tour pour me dégourdir les jambes.<o:p></o:p>

    - Bientôt le maître va remplir ma gamelle. Je ne mange jamais tout. Si tu en veux, ne reviens pas trop tard…<o:p></o:p>

    - D’accord Bingo… et merci !<o:p></o:p>

    En s’éloignant de la ferme, Chikou pensait que les chiens étaient quand même un peu idiots. Le maître !…comme si les animaux avaient besoin d’un maître... Mais bon, Bingo était gentil et il ne courait pas après les chats. C’était toujours ça…<o:p></o:p>

    Il descendit dans un fossé et suivit une conduite d’eau en ciment, partiellement enterrée. De l’eau sale à l’odeur nauséabonde s’écoulait de l’embouchure dans une petite mare en contrebas. Autour de cette mare, des monticules d’immondices polluaient le paysage. Il ne tarda pas à apercevoir quelques rats  fouinant dans les détritus. Il s’aplatit dans l’herbe pour les observer un moment.<o:p></o:p>

    Il était loin le temps ou, paniqué, il s’était enfui devant l’un d’eux. Aujourd’hui, sa taille et son poids lui permettaient, non seulement de ne plus avoir peur, mais surtout d’en attraper un, de le tuer et…de le dévorer. Une proie qu’il aurait gagnée, lui, tout seul…<o:p></o:p>

    Un des gros rats s’approchait de sa cachette. Chikou bondit, toutes griffes dehors. Il sauta sur son dos, plantant ses crocs puissants derrière son cou. Sa victime émit un couinement aigu et se retourna prête à mordre. Chikou esquiva les dents acérées et affermit sa prise dans la chair. Mais le rat, robuste, s’agitant et se contorsionnant dans tous les sens, parvint à se dégager et à s’enfuir. Chikou se lança à sa poursuite et le rattrapa après quelques mètres de course. Blessé et handicapé, il fallait l’achever au plus vite. Il mordit de nouveau au même endroit, à la base du cou, mais, en se retournant vivement, le rat parvint à lui mordre méchamment la patte arrière. Chikou sentit un douleur aigue dans sa jambe mais n’en relâcha pas moins sa prise. Il serrait fort les mâchoires, pesant de tout son poids sur son dos, attendant qu’épuisée, sa proie abandonne la lutte. Ce qui finit par se produire. Sous lui, le corps ne s’agitait plus. Chikou patienta encore quelques secondes. Il savait que souvent, les proies faisaient semblant d’être mortes, afin que le prédateur, relâchant sa vigilance, desserre l’étau et les libère. Ses copines, les petites souris, l’avaient possédé maintes fois avec cette feinte. Il attendit donc un moment, immobile, les crocs toujours plantés dans le cou de l’animal. Puis, progressivement, il relâcha son étreinte. Il recula, donna quelques  coups de patte sur le corps inerte, puis voyant qu’il ne bougeait plus, il entreprit de le dévorer.<o:p></o:p>

     La chair du rat était savoureuse mais les poils raides, par moments, obstruaient sa gorge. Il en recracha quelques touffes en s’étouffant mais il parvint tout de même à terminer son repas. <o:p></o:p>

     Rassasié, très satisfait d’être parvenu à tuer sa première proie, Chikou regagna un coin abrité et entreprit de lécher sa patte blessée. Après avoir bien nettoyé son museau, il s’endormit dans l’herbe.<o:p></o:p>

    A la tombée de la nuit, il revint à proximité de la ferme. Une surprise l’attendait.<o:p></o:p>

    Trois chats, étendus devant la porte, prés de la gamelle de Bingo, levèrent la tête.<o:p></o:p>

    « Sûrement les collègues dont m’a parlé Bingo… Ils n’ont pas l’air très accueillants… » pensa Chikou. <o:p></o:p>

     En effet, les trois chats se levèrent brusquement et bondirent vers lui, agressifs.<o:p></o:p>

    Chikou décampa vite fait. Ses poursuivants s’arrêtèrent et s’assirent, continuant à l’observer.<o:p></o:p>

     « Bon ! Trois contre un, mieux vaut ne pas insister » se dit il. « En plus avec ma patte blessée… ». Il contourna la ferme se dirigeant vers la remise ou étaient entreposés les bidons de lait. Comme, il franchissait l’angle arrière de la cabane, un coup de griffe lui laboura le museau. L’un des trois chats, le poil hérissé, montrait ses dents et feulait en le fixant méchamment. Chikou riposta, très irrité par cette attaque soudaine. Ce n’était pas la première fois qu’un chat le provoquait. Dans la zone, des bagarres opposaient fréquemment les mâles de la bande. La bataille aurait été brève et sans doute favorable à Chikou, plus musclé et plus endurant que son agresseur, si les deux autres chats ne s’étaient pas joints au premier, attirés par les bruits du combat. Devant faire face sur plusieurs fronts, esquivant quelques coups de pattes mais atteint par plusieurs autres, Chikou, blessé, abandonna la lutte et s’enfuit à toutes pattes, loin de la ferme, soigner une nouvelle fois ses blessures. Comme précédemment, dés qu’ils virent que Chikou s’éloignait, les trois chats renoncèrent à le poursuivre.<o:p></o:p>

    Les entailles, peu profondes mais vives qui maculaient son corps et son museau, nécessitèrent de nombreux coups de langue pour calmer la douleur. Retranché dans un fourré, Chikou léchait inlassablement ses plaies à vif. Il n’en voulait pas à ses agresseurs qui défendaient leur territoire. L’intrus, c’était lui. Il se rendit compte alors qu’il ne pourrait pas rester ici et qu’il devait poursuivre son chemin. Sa souffrance un peu calmée il demeura étendu dans les feuilles, sans parvenir toutefois à s’endormir, recommençant, à intervalles réguliers, les séances de nettoyage. <o:p></o:p>

     Au matin, il reprit sa route, droit devant lui.

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