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    Dans ses yeux
     
     

    Oiseau de passage

     

    « Je suis un homme qui pense à autre chose » Victor Hugo
     
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    Oui, tu n’as pas oublié que j’avais en permanence une musique dans la tête. C’est normal, puisque nous avons partagé plein de chansons dont une qui nous allait si bien.
     
    Tu t’en souviens aussi, j’en suis sûr.
     
    Des musiques qui se faufilent à travers les méandres de mon cerveau, musiques en mots, et mots en musique. Je les aime toutes et il m’arrive d’en partager quelques unes, comme en ce moment.
     
    Ma femme me dit souvent. « Comment fais tu pour rester enfermé toute la journée ? Moi, je ne pourrais pas, j’aurais l’impression d’étouffer.»  Bien sûr, je la comprends, car pour elle qui me regarde vivre, je suis un troglodyte qui ne voit que rarement la lumière du jour. Et c’est impensable…
     
    J’ai tenté de lui expliquer, mais elle n’admettra jamais que je ne suis pas « enfermé » comme elle dit, mais, bien au contraire, libre, perpétuellement en vadrouille.
     
    Tu le sais bien, toi, que je voyage sans cesse, que je suis rarement présent, là ou je me trouve. Que mon esprit décolle avec une facilité qui me pose souvent des problèmes, mais je suis ainsi fait, j'ai toujours fonctionné ainsi. 
     
    Voyageur sans bagages et donc sans contraintes, je m’évade sans cesse d'un quotidien dans lequel je me sens de plus en plus mal à l'aise.
     
    On me parle mais je n’entends pas.
     
    Le jour, défilent dans ma tête, des images colorées et la nuit, tournent en boucle des vidéos diverses, reprenant des histoires de mon passé, pointant mes lacunes et mes erreurs d’alors.  M’expliquant aussi pourquoi.
     
    " Souviens toi quand elle t’a dit:"
     
     
    « C’est trop et ce n'est pas assez, Julien... » Tu as ouvert de grands yeux étonnés, mais elle n’a pas expliqué ! Alors, regarde maintenant ! Regarde et apprends ! « Trop » parce qu’elle aimait tellement se perdre avec toi dans tes rêves, mais « pas assez » car elle voyait bien en même temps que dans le quotidien tu n'étais pas présent. Elle se rendait bien compte qu’on ne pouvait pas compter sur toi. Et la vie n’est pas faite que de rêves. C’est  pourtant simple à comprendre, mais à l’époque tu ne faisais pas la différence. Réel et imaginaire se confondaient.  Alors voilà. Comme k je te le dis souvent Julien, « On n’a que ce que l’on mérite. »
     
    Dommage qu’au réveil tout s’efface car, j’aimerais bien retenir parfois quelques uns de ces commentaires nocturnes, mais c’est ainsi. La nuit parle mais ne s’attarde pas.
     
    Ce qui est unique et remarquable dans mes rêves en vidéo, c’est que je ressens tout, pleinement ! Je ressens toutes les émotions, comme si je les vivais ou les revivais. Magnifiées ! Et, s’il m’arrive de faire l’amour, au hasard d’une rencontre passée avec une de mes dames du temps jadis, c’est tout simplement extrêmement jouissif. Comment voulez vous, après ça, qu’il ne me tarde pas d’y retourner !
     
    « Ta beauté est une souffrance, dit Louis à Marion dans «  La sirène du Mississippi » 
     
    - Hier tu disais que c’était une joie.
     
    - C’est une joie et une souffrance."
     
    Oui, François T. La beauté des femmes est à la fois une joie et une souffrance, pour nous, les hommes. Mais vois tu, la nuit, je peux encore dissocier les deux, ce qui ne m’est plus possible, le jour. La nuit, quand je fais l’amour, tout n’est que joie, déferlement d’émotions, volupté et délivrance. Aucun obstacle à ma félicité. Si par contre je comprends en un flash soudain, pourquoi je l’ai perdue, alors il n’y a plus que souffrance et nostalgie. 
     
    Tu sais, je pourrais continuer à te parler ainsi pendant des heures. Quand je déambule sur le cours Mirabeau, par une de ces belles journée de soleil en Provence, (si si, cela m’arrive parfois tout de même) je suis rempli de tristesse. Elles me croisent, belles comme des prières, mais elles ne me voient pas. C’est bien normal, puisque j’ai de plus en plus tendance à disparaître, à m’effacer. La vie continue sans moi. Oui, je sais que tu vas me dire que j'exagère, comme toujours, que c’est une impression fausse, mais moi, je le ressens ainsi.
     
    Dans mon imaginaire, je deviens le bon roi René ressuscité, qui descend de sa statue, tout en haut du cours Mirabeau. Jr passe c devant le bistrot des 3 G, je marche jusqu'à la grande fontaine, et tout resplendit, tout est  vivant, fleuri, appétissant, convivial. Les belles passantes me regardent et me sourient. Qu’il pleuve qu’il neige ou qu’il vente, il y fait toujours beau. En ce moment, un peu avachi dans mon fauteuil je suis, derrière mes paupières closes, avec une de ces superbes créatures, à la terrasse d’un café, et je bois ses yeux et son sourire. Comme on dit, je fais des provisions pour l’hiver.  Je me sais fourmi mais je ne peux m’empêcher de me rêver cigale…
     
     
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    Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l’espace,
     
    Si haut qu’il semble aller lentement, un grand vol
     
    En forme de triangle arrive, plane et passe.
     
    Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !
     
     
     
    Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
     
    Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
     
    Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
     
    L’air qu’ils boivent feraient éclater vos poumons.
     
     
     
    Là-bas, c’est le pays de l’étrange et du rêve,
     
    C’est l’horizon perdu par delà les sommets,
     
    C’est le bleu paradis, c’est la lointaine grève
     
    Où votre espoir banal n’abordera jamais.
     
     
     
    Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !
     
    Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu’eux.
     
    Et le peu qui viendra d’eux à vous, c’est leur fiente.
     
    Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.
     
     
     
    Jean Richepin - Les oiseaux de passage
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     

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