• 3 - SAM<o:p></o:p>

     - Il faut se méfier des humains, dit Joss, alors qu’il faisait visiter à Chikou, les rues adjacentes, derrière le restaurant. La plupart d’entre eux nous fichent la paix, mais certains sont méchants, surtout les petits. Quelques uns nous aiment bien…, mais, même avec ceux là, il vaut mieux rester prudents…<o:p></o:p>

    - Oui, répondit Chikou<o:p></o:p>

    - Dans la bande, tu rencontreras sûrement un jour Melika. C’est une magnifique minette qui s’est retrouvée à la rue après la mort de l’humain qui l’avait adoptée. Elle a connu pas mal de ces bipèdes et elle en sait assez long sur eux.<o:p></o:p>

    - Maintenant, regarde bien ! On arrive à la limite du territoire. Passé le coin de cette rue, ça devient dangereux.<o:p></o:p>

    - Qu’y a-t-il plus loin ?<o:p></o:p>

    - Les chiens ! Ils sont bêtes et imprévisibles… Ils passent leur temps à nous courir après. Ils adorent ça. C’est assez facile de leur échapper mais s’ils sont nombreux, faut faire gaffe ! Comme ils ont toujours faim, il vaut mieux se tenir à distance. Contrairement à nous, les chiens n’ont aucun respect du territoire. Ils vadrouillent partout et ils nous tombent dessus sans crier gare. Alors, c’est l’alerte générale ! Dans ces cas là, toute la bande fait front et crois moi, ils se sauvent vite à toutes jambes. Mais ils sont tellement bêtes qu’ils reviennent le lendemain comme si de rien n’était… Rien à faire avec eux. C’est comme ça !<o:p></o:p>

    Tiens, voila Sam…A mon avis on a du le prévenir que tu venais d’arriver et il vient voir…<o:p></o:p>

    Un magnifique chat noir se dirigeait lentement vers eux. Ses yeux jaunes, fendus de deux traits noirs verticaux lui donnaient un aspect inquiétant. Il ne paraissait pas menaçant mais plutôt curieux.<o:p></o:p>

    Joss, assis sur son derrière, le regardait s’avancer, immobile. Chikou était impressionné par la force tranquille qui se dégageait du personnage.<o:p></o:p>

    - Bonjour Joss, dit Sam. Je suppose que ce jeune chat est ton nouvel ami, Chikou…<o:p></o:p>

    - Oui répondit Joss. Je le balade un peu, pour visiter le coin…<o:p></o:p>

    - ... Qui n’est pas encore le sien, mais qui le deviendra peut être. J’ai vu Thoustra il y a un instant et il m’a parlé de lui. Il est… « tout neuf » parait il …<o:p></o:p>

    Chikou était un peu gêné que Sam ne s’adresse pas directement à lui.<o:p></o:p>

    Ce dernier tourna alors ses yeux jaunes vers lui et  poursuivit :<o:p></o:p>

    - Tu as du entendre parler des épreuves qu’il faut surmonter pour être accepté parmi nous ?<o:p></o:p>

    - Oui, répondit Chikou, d’une petite voix.<o:p></o:p>

    - Ne sois pas timide... Bien sur, Joss t’en a parlé, et je vois à ton air qu’il t’a parlé aussi de moi…Je n’ai encore rien décidé pour toi. Tu es jeune, naïf et innocent. Cela se voit à ton attitude. Les épreuves attendront, car il faut que tu grandisses un peu pour pouvoir les affronter…Bien entendu, si tu décides de rester…<o:p></o:p>

    Chikou se tourna vers Joss, mais celui-ci ne quittait pas Sam des yeux.<o:p></o:p>

    - Je ne sais pas trop où aller depuis que…<o:p></o:p>

    - Je sais Chikou, coupa Sam. Disons que, pour l’instant, tu es notre invité. Je te verrai plus tard. Joss est un bon guide, continuez votre visite…<o:p></o:p>

    Et Sam tourna les talons et s’en alla.<o:p></o:p>

    - Voila ! dit Joss qui retrouvait son aspect habituel. Tu as vu Sam…<o:p></o:p>

    - Oui,… il est assez impressionnant…<o:p></o:p>

    - C’est son air. Il en impose et on n’a pas trop envie de se frotter à lui. Sauf les imbéciles qui ne voient rien…et qui se ramassent des baffes…<o:p></o:p>

    - Il s’est souvent mis en colère ?<o:p></o:p>

    - En colère, on ne peut pas vraiment dire. Mais impitoyable ça oui !… Une fois, un collègue, plutôt costaud et sûr de lui s’est avancé pour le provoquer. Sam l’a regardé arriver et avant que l’autre ait eu le temps de faire un geste, il s’est pris un violent coup de griffe sur le museau, accompagné d’un feulement puissant. Le costaud a vivement reculé, mais déjà Sam était sur son dos et labourait ses flancs, à toute vitesse. Le costaud n’a même pas pu réagir, trop occupé qu’il était à éviter les coups.<o:p></o:p>

    Puis, d’un coup, Sam s’est arrêté. Il n’a rien dit. Il l’a regardé 3 secondes et il s’est retourné. Le costaud n’a pas bougé. Quand Sam a disparu, alors, seulement, il a commencé à se lécher pour nettoyer ses plaies. Ça n’a pas duré plus de 10 ou 20 secondes. Je n’ai  vu combattre Sam qu’une seule fois. Il est très rare en fait que quelqu’un s’en prenne à lui. Et Sam, il ne cherche pas la bagarre. Sauf avec les chiens, bien sûr, qui ont si peu de cervelle…, mais alors là, attention les yeux !...<o:p></o:p>

    Bon ! Puisqu’on a le feu vert, on a tout le temps de visiter le royaume.  Je vais t’emmener voir les p’tit souris. T’as pas un petit creux ?<o:p></o:p>

    Sur le chemin de la décharge, Chikou ne pouvait s’empêcher de penser qu’une page de sa courte vie venait de se tourner. L’image de son livre, niché quelque part à l’intérieur de son corps, lui revint à l’esprit… Ce livre, à quoi pouvait il bien servir ? Il existait forcément, puisque Thoustra en avait déchiffré les premières pages…mais pourquoi ne pouvait il pas le consulter, lui ? Et comment s’écrivait il tout seul? Est ce qu’en ce moment, des lignes nouvelles se dessinaient ?... Mystère qu’il aurait bien voulu éclaircir. Après tout il s’agissait de « son » livre et il aurait du être le premier – sinon le seul - à pouvoir le consulter….<o:p></o:p>

    Ils arrivèrent rapidement prés du nid de souris qui lui avait fourni son premier repas. Mais aujourd’hui, il n’avait pas faim. Paulo et ses poissons avaient rempli son estomac et c’est davantage pour passer le temps qu’il avait suivi Joss. Celui-ci, par contre, était tout excité.<o:p></o:p>

    - Regarde dit il, yen a une flopée…<o:p></o:p>

    Chikou observait surtout une petite souris qui, un peu à l’écart sur un monticule, ne semblait pas s’intéresser au festin de ses sœurs. Elle se tenait bien droite, assise sur son postérieur, les pattes de devant lissant ses petites moustaches d’un mouvement alterné et rapide. De temps en temps elle s’arrêtait et se figeait, auscultant les alentours.<o:p></o:p>

    Installée sur sa position dominante, elle semblait surveiller l’ensemble du territoire.<o:p></o:p>

    <o:p></o:p>

    Chikou approcha doucement, contournant le promontoire de façon à se trouver derrière elle. Lorsqu’il bondit, la petite vigie se retourna brusquement, et lui fit face :<o:p></o:p>

    - Stop ! Arrête !<o:p></o:p>

    Chikou retomba lourdement sur ses pattes, interdit. Il pencha la tête sur le coté, et fixa la petite souris d’un œil interrogateur, se demandant s’il avait bien entendu ou s’il était en train de rêver…<o:p></o:p>

    - A partir de maintenant, plus de souris à croquer pour toi !…<o:p></o:p>

    Chikou ouvrit la bouche, stupéfait….<o:p></o:p>

    - Je t’ai reconnu. Hier tu as tué et emporté une de mes sœurs. Mais tu ne l’as pas mangée, comme ton copain qui s’amuse un peu plus loin…Pourquoi ?<o:p></o:p>

    Encore sous le coup de l’émotion d’entendre parler une souris, Chikou mit un peu de temps à répondre.<o:p></o:p>

    - Et bien, c’est parce que ce n’était pas pour moi, mais pour mes sœurs qui avaient faim…<o:p></o:p>

    - Ceux de ton espèce tuent et mangent les souris après avoir joué avec. C’est ce que fait ton copain, là bas. Mais toi, tu n’agis pas comme eux et je me demande bien pourquoi ?<o:p></o:p>

    - Comment ça ? Mais non,…Moi aussi je tue les souris et je les mange…<o:p></o:p>

    - Non ! Tes semblables ne s’encombrent pas de provisions. Ils jouent, ils tuent et ils mangent. Toi tu as tué pour quelqu’un d’autre. Jusqu’ici je n’avais jamais vu ça…et puis je vois bien que tu essaies de faire comme eux mais tu n’es pas pareil... Tu n’as pas envie de tuer. Tu n’aimes pas tuer…<o:p></o:p>

    - Hum !!!!  Je ne prends aucun plaisir à tuer, c’est vrai, mais les chats et les souris, c’est  fait pour cela non ?<o:p></o:p>

    - Oui. Il paraît… répondit la petite souris avec un soupir. La force de l’habitude. L’instinct. La bêtise, quoi !

    - La bêtise ?<o:p></o:p>

    - Depuis que le monde est monde, les chats jouent  avec les souris et finissent par les tuer. Et ils se transmettent cette tradition idiote de génération en génération. Personne n’a jamais cherché à savoir pourquoi il en était ainsi…C’est comme ça et puis c’est tout. Mais toi, tu es différent. Je le sens car je sais trop bien qu’aucun chat ne pense à autre chose qu’à son propre plaisir. Toi, par contre…<o:p></o:p>

    - Ce n’est pas vrai ce que tu dis ! Sam et Thoustra, ils aident les autres aussi…<o:p></o:p>

    - Sam et Thoustra ?<o:p></o:p>

    - Oui ! Ils ne sont pas égoïstes, ils parlent aux autres chats pour les aider…<o:p></o:p>

    - Connais pas ces deux là... Mais toi, tu veux bien m’écouter ?<o:p></o:p>

    - Beh, je t’écoute déjà non ?<o:p></o:p>

    - Oui, c’est vrai…dit la petite souris en se frottant les poils de la moustache, ce qui était sa façon à elle de sourire. Mais je vois que ton copain a fini de s’amuser et il ne va pas tarder à venir te chercher. Va le rejoindre et reviens me voir,.. seul !<o:p></o:p>

    - Puisque tu peux parler, tu as un nom ?<o:p></o:p>

    - Je m’appelle Zara. Et maintenant va !<o:p></o:p>

    - Et moi, c’est Chikou. Je reviendrai.<o:p></o:p>

    Et Chikou repartit à toute vitesse retrouver Joss.<o:p></o:p>

    - Que faisais tu, je ne te voyais plus, demanda celui-ci<o:p></o:p>

    - Je suis allé me balader un peu plus loin. Je n’avais pas très faim.<o:p></o:p>

    - Pas besoin d’avoir faim pour chasser les souris ! Tu as vu quelque chose ?<o:p></o:p>

    - Non. Rien, de spécial…<o:p></o:p>

    Sans véritablement savoir pourquoi, Chikou ne parla pas à Joss de sa rencontre avec Zara. Il sentait que c’était inutile, que Joss n’aurait pas compris qu’il « discute » avec une souris. Comme Zara l’avait dit, pour Joss et la plupart des chats, les souris c’était pour le jeu et se restaurer, à l’occasion. Mais puisque Paulo et le restaurant leur fournissait en général toute la nourriture nécessaire, les souris, c’était surtout pour se dégourdir les jambes et passer un bon moment.<o:p></o:p>

    Chikou le pensait aussi jusqu’à présent, mais davantage pour faire comme les autres que par pure conviction personnelle. Et sa rencontre avec Zara remettait cette évidence en question… Aussi, ne sachant pas quoi faire de cette découverte, il préféra ne pas en parler.<o:p></o:p>

    Ils rentrèrent au petit trot dans la zone et se blottirent dans un coin pour dormir. <o:p></o:p>

    Soudain, réveil en fanfare et grand chambardement dans la zone…Bruits et fureur…Cris, feulements, objets divers qui tombent, galopades…Les deux copains se réveillèrent en sursaut et s’enfuirent à toutes pattes, chacun dans une direction opposée. Chikou entendit derrière lui un aboiement furieux. D’un bond il se propulsa sur un petit muret qui barrait la route. Une fois à l’abri, il découvrit un gros chien plein de poils qui braillait en levant la tête vers lui. Il fixa cette grosse bête qui faisait un boucan d’enfer mais qui ne pouvait pas l’atteindre. Cela dura un bon moment. Parfois le chien se  calmait, faisait mine de partir, puis il revenait et recommençait à  aboyer, sans se lasser. Chikou ne comprenait pas cette obstination. Pourquoi faire autant de bruit pour rien ? Il fixait le chien, sans frayeur, mais il restait circonspect.<o:p></o:p>

    Puis, dans la zone, les bruits s’atténuèrent. Quelques aboiements retentirent encore mais on sentait que l’alerte n’allait pas tarder à se terminer. Le gros plein de poils finit aussi par se retirer, fatigué sans doute d’attendre on ne sait quoi…<o:p></o:p>

    Prudemment Chikou descendit de son perchoir. Une jeune minette, un peu plus âgée que lui, environ de l’âge de Joss,  le vit passer et le suivit un moment.<o:p></o:p>

    - Sont un peu pénibles ces chiens, dit elle.<o:p></o:p>

    - Oui. Ça arrive souvent, ce boucan ?<o:p></o:p>

    - Trop souvent…Pas moyen d’être tranquille. Avec ça qu’ils sont de plus en plus nombreux et toujours aussi bêtes…

    - Comment t’appelles tu ? demanda Chikou.<o:p></o:p>

    - Manouche. Et toi ?<o:p></o:p>

    - Chikou. Il y a longtemps que tu es ici ?<o:p></o:p>

    - Je suis née ici. Ma maman s’appelle Mélika.<o:p></o:p>

    - Mélika ? C’est ta maman ? Joss m’a parlé d’elle. Il m’a dit qu’elle était arrivée ici après la mort de sa maîtresse humaine. Elle a vécu longtemps là bas parait il...Tu connais Joss ?<o:p></o:p>

    - Oui, c’est un copain. Un peu tout fou, mais gentil. Ma maman est effectivement née chez les humains. Elle a passée cinq ans de sa vie dans une maison. Elle a été très heureuse m’a-t- elle dit. D’après elle,  les humains peuvent être très gentils. Quelquefois aussi ils peuvent être assez méchants.<o:p></o:p>

    - Oui, Joss m’a dit pareil. Moi, les humains que j’ai rencontrés ici, en me baladant, m’ont paru assez indifférents. Ils ne faisaient pas attention à nous pour la plupart, sauf les petits, qui, lorsqu’ils nous voyaient, tentaient de nous attraper.<o:p></o:p>

    - En tout cas, moi je m’en méfie, poursuivit Manouche. Ma mère, pas pas assez, je trouve…Il arrive qu’elle se frotte aux jambes de ces bipèdes, qu’elle rôde autour des maisons… Moi, je n’aime pas ça. Je le lui dis mais c’est plus fort qu’elle. Elle me répond que, lorsqu’on a vécu avec un gentil humain, on ne peut pas l’oublier et qu’on recherche ensuite, toute sa vie leur compagnie. C’est bien possible mais je sais que moi, ça ne m’arrivera pas. Mais chut ! La voilà qui arrive…<o:p></o:p>


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