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Poussiére d\'étoile (2)
II
- Je rêve beaucoup ces temps ci, dit Julien.
- Tu as toujours beaucoup rêvé, répondit son père.
- Ce que je veux dire, cest que je rêve, la nuit, pendant mon sommeil. Pratiquement toutes les nuits, depuis un certain temps. Des bribes dhistoires décousues me passent par la tête, mettant en scène des personnages de pure fantaisie. De plus, ces rêves ne seffacent pas, comme les rêves ordinaires, après le réveil. Ils sont comme gravés dans un coin de mon cerveau et ils sétoffent, nuit après nuit.
Ils marchaient cote à cote sur la plage. Julien venait davoir 22 ans et suivait des études littéraires à luniversité dAix en Provence. Une matière quil souhaitait plus tard enseigner, afin de tenter de transmettre à de jeunes gens lamour des livres et des auteurs quil avait adoré.
Dun naturel effacé, timide et plutôt secret, il réservait à son père ses confidences les plus intimes. Leur complicité ne sétant jamais démentie, Julien savait que lui seul savait lécouter. Il sentendait bien avec ses copains de faculté mais ses rapports avec eux restaient superficiels. « Personne nécoute jamais vraiment » pensait t-il.
Comme lavait magnifiquement écrit Baudelaire dans « Les yeux des pauvres » poème en prose du « Spleen de Paris »:
« Tant il est difficile de sentendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable, même entre gens qui saiment ! ».
Il avait donc renoncé à se confier, sans amertume car tout le monde devait ressentir la même chose, acceptant que ses copains pensent à autre chose en lécoutant
- As-tu songé à écrire ? demanda son père.
- Écrire ? Écrire quoi ? Mes rêves ? Ils sont trop décousus. De plus, je ne sais pas écrire ! Assembler des mots pour en faire des phrases nest pas chose facile, tu sais . Cela tient de la magie ! De lAlchimie ! Cest un art ! Jai en mémoire trop de phrases magnifiques que jai lues et que jaurais aimé écrire. Des phrases simples pourtant Quand on les lit, cela paraît évident. Tiens, par exemple, ceci : « Une lumière séclaira, à lintérieur.» Jai lu cela dans une nouvelle de Dino Buzzati, je ne sais plus laquelle. Apparemment, rien dextraordinaire Pourtant, quand je lai lue, dans le contexte de lhistoire, une lumière sest vraiment allumée à lintérieur de moi ! Cest difficile à expliquer
Jai essayé décrire, oui, comme tout le monde... Mais quand je me relis, je mesure la différence Non, ce nest pas simple décrire répondit Julien en riant.
Julien repensa à cette discussion avec son père lorsque, quelques temps après, il se retrouva lesprit totalement encombré par ses rêves. Il lui semblait que son cerveau, nayant plus de place pour autre chose, refusait de fonctionner. Il éprouvait des difficultés de plus en plus grandes à se concentrer sur ses études et devenait de plus en plus distrait. Alors quil prenait un café sur le cours Mirabeau, il oublia ses clés sur la table. Puis ce fut sa pochette dans un magasin. Il en arriva à revenir sur ses pas afin de vérifier quil avait bien fermé sa porte en sortant
Ses copains lui firent également remarquer plusieurs fois quil nécoutait pas, quil nétait pas avec eux, quil avait lair absent.
Jugeant quil fallait faire quelque chose, Julien se dit que peut être, effectivement, sil couchait sur le papier, ces choses qui encombraient son esprit, elles disparaîtraient et feraient de la place Idée sans doute saugrenue, mais il fallait bien tenter de se soigner. Distrait il lavait toujours été mais là, ça devenait maladif, et ne pouvait pas continuer ainsi .
Sur un cahier décolier, le matin en se levant, ou bien dans la journée, dés quil avait un moment, Julien écrivait, sans aucune recherche de style, souhaitant simplement se vider lesprit afin de se débarrasser de ces histoires sans queue ni tête, qui, au fil des nuits sentassaient dans sa mémoire.
Très vite, les tiroirs de sa chambre détudiant se remplirent de pages manuscrites. En même temps Julien retrouvait ses capacités de concentration Cétait donc bien LA solution à son problème. Mais les rêves ne sarrêtaient pas pour autant. Chaque nuit, de nouveaux développements apparaissaient, quil sempressait de noter le lendemain.
Un personnage revenait souvent dans ses rêves, comme un maillon perturbateur. Il sagissait dune sorte de sorcier ou de mage qui transformait les objets et les gens, à sa guise et selon ses caprices. Il apparaissait chaque fois de la même façon. Semblant tomber du ciel, Julien distinguait dabord dans le ciel une lueur diffuse, puis de plus en plus vive, qui se matérialisait en se rapprochant du sol en un personnage lumineux. Son intervention changeait alors radicalement le cours des choses. Les couleurs, les lieux changeaient. Un gentil pouvait devenir méchant et inversement. Il parlait aux animaux et demandait souvent leur avis avant dagir. « Penses tu quil soit équitable de transformer celui-ci en idiot, ce quil semble être déjà, ou bien peut on espérer encore un peu de lui ? » demandait il à un cheval, ou à un tigre, ou à un scarabée Lanimal interrogé le regardait un moment et répondait invariablement « Cest toi qui décide ! Cest encore trop tôt pour que je me prononce ! ». Alors le sorcier disait : « Bon ! Tu ne veux pas te mouiller ? Alors je vais essayer ça ! De toute façon, il sera toujours temps de revenir en arrière si je me suis trompé ». Et lindividu en question changeait de forme ou de nature Le sorcier reprenait alors sa balade semant la zizanie au sein dune histoire déjà assez compliquée et toujours, apparemment, sans queue ni tête
Tout cela navait aucun sens. Du moins sil y en avait un, Julien ne sen préoccupait pas. Il soignait une maladie, il ne cherchait pas à comprendre.
(A suivre)
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Commentaires
bisous à toi, et à bientôt