• Nicole

     
    Nicole

     

    Nicole<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Assis l’un en face de l’autre comme au bon vieux temps, ils avaient passé l’après midi à discuter, dans la cuisine. Comme au bon vieux temps. Entre eux, toujours la même confiance. Tout naturellement, chacun avait repris son rôle. Lui parlant et elle, l’écoutant.

     

    La passion n’avait pas disparue du regard de Julien constata-t-elle. Toujours aussi brillant, aussi pétillant, quand il commençait à s’animer. Cependant plus serein, plus intériorisé... « L’âge…, bien sûr », avait elle pensé.

     

    Avait elle véritablement aimé ce garçon, ou était elle à l’époque simplement amoureuse de lui, comme le pensait sa mère ?

     

    Encore aujourd'hui, elle n’aurait su dire avec certitude. Elle avait aimé le suivre dans ses rêves, elle aurait bien aimé aussi, certains soirs, le prendre dans ses bras, le serrer et le sentir contre elle… Ou simplement le voir, plus souvent…. Différemment…

     

    Mais cela n'était jamais arrivé.

     

    ---------------------------------------

     

    - Ou es-tu ?

     

    - Comment ça, où je suis ?

     

    - Oui ! Où es tu ? En ce moment ?

     

    - Mais je suis ici ! Avec toi ! rigolait-il

     

    - Ton corps oui, mais toi, ou es tu ? Tu n’es pas avec moi. Je le lis dans tes yeux.

     

    Il avait éclaté de rire.

     

    - Je t’aime bien, Nicole. Tu es mon port d’attache. Mon havre de paix, ma boussole... Tu as raison. Je suis avec toi mais mon esprit « bat souvent la campagne et galope »… comme chantait Brassens….. Pardonne moi…

     

    Soupir affectueux. Grande tendresse, peut être plus, elle ne savait pas.....

     

    ----------------------------------------------------------

     

    Les souvenirs qu’ils avaient évoqués ensemble au cours de l’après midi, avaient fait remonter des images, en cascade.

     

    Les longues soirées, assis  à cette même place, autour de la table de la cuisine, dans la maison de sa mère.

     

    Julien parlait des heures sans s’arrêter. Quand il arrivait, tard le dimanche soir, il entrait, l’embrassait en souriant et demandait :

     

    - Comment se porte ma douce amie ce soir ?

     

    - Je lisais. Et toi, comment s’est passée ta semaine ?

     

    - Toujours pareil…. La fac, tu sais…Difficile pour moi, tu le sais bien.

     

    Elle savait bien, oui. Julien n’était pas sociable. Il ne se liait pas facilement.

     

    Alors, quand il venait, elle sortait un saucisson de la cendre, posait une grosse miche de pain  de campagne bien tendre et un litre de vin sur la table. Ils s’asseyaient l’un en face de l’autre, et doucement commençait une sorte de rituel, lui parlant  et elle, l’écoutant, en train de refaire le monde.

     

    La mère de Nicole était montée se coucher depuis longtemps. Elle savait que le dimanche soir, sa fille attendait « son Julien ». Pour elle il n’y avait aucun doute, sa fille était amoureuse de ce grand dadais… Mais ce couillon ne voyait rien… Gentil garçon,  mais pas les pieds sur terre…. Un étudiant, c'était peu dire !…

     

    En montant l’escalier conduisant à sa chambre, la mère de Nicole jetait un dernier coup d’œil à sa fille en hochant la tête. Sa fille ne serait pas heureuse avec lui. Ils rêvaient tous les deux, on se demande à quoi !... A la campagne, on n’a pas le temps de rêver. Nicole prendrait un livre, s’installerait devant le feu et attendrait son grand couillon… Bon sang ! Cette jeunesse….

     

    - En fait, tu vois Nicole, ce qui serait idéal, c’est que l’écriture ne soit que du vécu, qu’elle ne se nourrisse que de chair et de sang... Que la littérature disparaisse au profit d’une écriture vivante… brûlante…. vibrante !!!… Des livres - émotions, remplis de ces sentiments qui font battre nos cœurs, que nous ressentons tous, qui sont les pulsations de la vie… C’est de cela, vois tu, que Derrida parle dans son dernier livre que je viens de terminer : « L' Écriture et la différance… Il écrit différence avec un « a »… Un « a »… qui marque justement... toute cette... différence… Génial non ? Tu ne trouves pas ?... Ecriture et littérature.... L'écriture, comme un grand coup de pied à la littérature....

     

    " Il y a deux types de personnes. Celles qui te font perdre ton temps, et celles qui te font perdre la notion du temps".... Pour Nicole, Julien abolissait le temps.. Intarissable, il se saoulait et la saoulait de mots autant que de vin.... S'interrogeant, revenant sur ses propos, se demandant si… mais peut être que…

     

    Les heures défilaient. Les tranches de saucisson aussi.

     

    Parfois le bateau ivre du garçon marquait une pause. Le temps d’un éclat de rire, ou d’un regard pensif, perdu dans les flammes de la cheminée dont les braises, lentement, devenait cendres. 

     

    Ce qui ne faisait aucun doute pour Nicole, c’est que Julien vivait ce qu’il disait. Réalité et imaginaire se mélangeaient sans effort chez lui. Il en était dupe, mais elle, non. Convaincu d’être en plein dans la vie, son ami planait en fait complètement dans les nuages…

     

    Elle trouvait cela touchant. C’était si agréable de l’écouter. Elle lui enviait sa puissance d’évocation. Cette façon qu’il avait de rebondir sur une idée pour en dénicher une autre, et puis encore une autre…

     

    Pour elle qui aimait la lecture, plonger dans le torrent d’eau vive des mots de son ami, c'était comme prendre un bain de mer en plein été. Ses yeux brillants la fixaient intensément, la prenant à partie sans la voir véritablement, l’entraînaient dans des aventures rocambolesques, avec une passion qui la troublait.

     

    Alors pourquoi l’interrompre ? Pourquoi lui faire remarquer que ce n’était que du rêve ?  Qu’il embarquait sans cesse sur les ailes du vent ? Qu’importait la réalité ? Ces moments de rêve étaient plus passionnants que la vie, surtout ici, à la campagne, entre les poules, les cochons et les lapins.

     

    Il avait besoin d’un témoin pour éveiller ses rêves ? Et bien elle était là ! Et contente d'y être !

     

    En fin d'aprés midi, Julien était parti. Il avait rejoint la route nationale qui menait au village, en bas. Disparu de nouveau, elle l'avait suivi des yeux, pensant que c'était peut être la dernière fois qu'ils se retrouvaient... Elle eût, à cette pensée, un pincement au cœur qui la fit sourire.

     

    Elle fit demi tour et entra dans la maison. Sa mère était morte depuis dix ans mais elle continuait a venir  passer quelques jours ici,  dans la maison de son enfance, à la fin de chaque automne.

     

    Elle avait élevé deux enfants qui, après l’Université s’étaient installés dans la grande ville.

     

    Son mari, de retour de la chasse, lui demanda :

     

    - Qui était ce type que je viens de croiser en haut du chemin ? Il semblait sortir d’ici.

     

    - Un ami. Un ami de jeunesse. Sa mère habitait pas très loin. Elle connaissait maman, elles étaient amies. Elle est morte, comme maman, mais Julien passe de temps en temps voir sa soeur qui vit toujours ici, au village. Je l’ai rencontré en début d’après midi au marché et je l’ai invité à venir boire un verre. On a discuté…

     

    - C’était un bon ami à toi ?

     

    - Oui. On a pas mal de souvenirs en commun.

     

    - Un ex petit ami peut être ?

     

    - Non, même pas... Un ami. Un poète, que j’aime toujours beaucoup.

     

    - En tout cas, il n’a pas l’air gai.

     

    - Pourquoi tu dis ça ?

     

    - Je ne sais pas. Son air…

     

     

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    « Des rêves…. Et ce qu’ils deviennent…Mes biens chers frères... »

  • Commentaires

    1
    visiteur_lilou
    Mercredi 3 Décembre 2008 à 21:48
    C'est simplement BEAU, et ça se lit d'une traite également, comme H.V. Bisous Julien.
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    2
    visiteur_furious4
    Samedi 6 Décembre 2008 à 00:32
    coucou julien une petite phrase m'a interpellée !!!! ...."avait elle véritablement aimé ce garçon ou était elle simplement amoureuse de lui"...je crois que si on se posait cette question cela nous éviterai souvent la déroute!!!! il est bien facile de tomber amoureux mais bien difficile d'aimer.......merci julien gros bizousssss ;o)
    3
    visiteur_starletteoh
    Dimanche 7 Décembre 2008 à 00:10
    " le bonheur n'est pas chose aisée, il est très difficile de le trouver en nous, et impossible de le trouver ailleurs " .....
    Nicole et Julien ont eu leur bonheur ...mais il n'est pas resté hélas et avec le temps il s'est estompé ......Le temps a le pouvoir d'effacer mais aussi celui de redonner vie au passé avec cependant moins d'éclats !
    merci Julien pour tous ces rêves que tu nous donnes !
    4
    visiteur_magyc
    Mardi 9 Décembre 2008 à 20:35
    petit passage ici... il y avait longtemps... j'avais envie... bisous ju'
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