• Mensonges.....

    mensonge
     
     
     

    Le Mensonge

     

     

     

    1 - Si l'homme ment et se ment tout le temps, c'est qu'il est incapable d'accepter les choses telles qu'elles sont et apparaissent là, juste là, sous son nez.

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    2 - Il n'existepas d'essence du mensonge. C'est unterme très ambigu.Les gens qui parlent tout le temps de mensonge et voient en lui le péché suprême, le mal par excellence, ne sont en général pas très francs du collier ! Les pourfendeurs du mensonge, ce sont bien souvent les inquisiteurs, les moralistes les plus hypocrites. Le mensonge, c'est le grand mot de toutes les paranoïas, de tous les fanatismes, de tous les régimes totalitaires; quand la croyance l'emporte sur la vérité, on a toujours affaire à un mensonge, qu'il soit politique, moral ou religieux. Montaigne, l'auteur anti-fanatique par excellence, a fait des Essais une machine de guerre contre les masques du mensonge et de l'hypocrisie.

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    3 - Si, comme la vérité, le mensonge n'avait qu'un visage, nous serions en meilleurstermes avec lui, note encore Montaigne. Or, il existe une multiplicité de mensonges, affichant des facettes logiques et psychologiques très différentes. Dans son acception la plus simple, le mensonge est un déni de la vérité, de la réalité. II nie ce qui est, ou affirme ce qui n'est pas. Un homme a tué, mais soutient qu'il n'a pas tué.Il avance le faux, alors qu'il sait le vrai qu'il choisit de dissimuler. Mais, à partir du moment où le mensonge est enclenché, la vérité peut éclater à tout instant. Le menteur prend ainsi toujours le risque d'être démasqué, même si la fausse version a quelquefois la puissance d'instiller le doute, et d'encombrer les cours d'assises pendant de longues années. Le mensonge se révèle souvent plus plausible, plus vraisemblable que la réalité, parfois si rocambolesque qu'elle en devient peu crédible.

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    4 - Toute la force du mensonge consiste à singer la vérité, à en prendre les couleurs. Le mensonge est un caméléon qui doit avoirl'apparence du vrai; il doit pouvoir être cru, sans quoi il perd sa raison d'être. Et, pour être cru, il doit être consolidé par d'autres boniments. Le mensonge s'accompagne donc toujours d'une volonté de tromper. Celui qui énonce une proposition contraire à la vérité, sans vouloir tromper autrui, mais juste parce qu'il se trompe lui-même, est dans l'erreur, et non dans le mensonge. Le menteur, lui, est un charlatan, un spécialiste du faux qui, mieux que quiconque, sait reconnaître le vrai au premier coup d'œil. Le menteur est au fait de la vérité, et c'est là tout le paradoxe du mensonge.

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    5 -  Il faut distinguer le menteur «raisonnable» du mythomane compulsif. Parrapport au mythomane, le menteur ferait presque figure d'homme de parole! Avec le mythomane, le mensonge devient une maladie. Le mythomane s'enivre tellement de ses mystifications qu'il se persuade de leur vérité et finit par y croire lui-même. Il n'est plus capable de distinguer le vrai du faux, ne sait plus qu'il ment. C'est ce que racontent deux chefs-d’œuvre, Le Menteur de Corneille et celui de Goldoni. Pathologique, le mensonge décolle totalement du réel et se perd dans le flou de ce qui n'existe pas l'imprécision est toujours la servante de la mythomanie. Le mythomane vit sur un nuage qui n'a plus rien à voir avec le sol du réel.

     

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    6 - La grande affaire pour moi, c'est le mensonge à soi-même. Mentir aux autres, ce n'est pas forcément si grave, ni si intéressant. II y a tellement d'autres traits de la nature humaine à déplorer ! Le mensonge à soi-même me paraît beaucoup plus immoral, beaucoup plus mensonger. Car, à la différence de celui qui ment aux autres en sachant très bien ce qu'il fait, en ayant une forme de clairvoyance, celui qui se ment à lui-même vit dans l'illusion laplus complète, dans une totale mauvaise foi.

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    7 - Le mensonge,comme le dieu Janus, a toujours une double face. Il a une face ignoble et une face noble. On peut mentir pour nuire aux autres, par goût du lucre ou par cupidité, vice qui peut vraiment faire des ravages — voyez Jérôme Cahuzac. Mais on peut aussi mentir par courtoisie, par amitié, par sympathie. Pour aider l'autre et lui éviter de souffrir. Les mensonges faits dans l'intérêt de l'autre sont-ils encore des mensonges ? Quel intérêt y a-t-il, par exemple, à dire la vérité à celui qui va mourir? J'ai récemment perdu l'un de mes frères; il pensait que sa maladie n'était pas très grave et je n'ai rien fait pour l'en détromper. Cela aurait même été atroce de lui dire la vérité, sa souffrance aurait été bien pire, bien plus cruelle. Quand il n'y a pas de raison positive de dire la vérité, mieux vaut la taire — c'est le mensonge par omission. Non, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. En ce sens, le mensonge peut être porteur d'une vérité humaine, ce que Vladimir Jankélévitch appelle le mensonge «par amour» dans le Traité des vertus.

    Leprincipe moral selon lequel il y auraitun devoir de vérité, à n'importe quellecondition, à n'importe quel prix, n'estpas tenable. Car le mensonge est nécessaire à la vie en société. Gardons entête le mot si féroce mais si juste de Pascal : «Peu d'amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas»...

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    Propos de Clément Rosset, recueillis par Juliette Cerf pour Télérama (3317-3318 du 7 aout 2013)


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    « EN POLITIQUE,

     

    L'ESSENTIEL EST D'AVOIR LE CULOT D'AFFIRMER »

     

    Dire la vérité n'est plus primordial. Ce qu'il faut, c'est être cru. Selon le chercheur Christian Salmon, avec l'explosion d'Internet et la puissance des marchés, la parole politique est désormais réduite à des stratégies de communication. Comment l'art de la mise en scène a remplacé l’action

     

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    «La vérité n'est pas mon sujet. » Conseillère en communication de Dominique Strauss-Kahn et de Jérôme Cahuzac, Anne Hommel a le mérite de parler cash. La vérité n'est donc pas le sujet des politiques et de leurs communicants. La question est réglée depuis qu'il existe des sophistes et des rhétoriciens, depuis Machiavel ou Jonathan Swift, auteur en 1733 d'un livre fameux, L'Art du mensonge politique. Un art qu'Henri Queuille, plusieurs fois président du Conseil sous la IVe République, avait traduit dans une maxime demeurée célèbre : «Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. »

    Bref, le couple mensonge et politique n'est pas de première jeunesse, et Jérôme Cahuzac n'a rien d'un précurseur. Au point de se demander si cette question de la vérité en politique a encore un sens, comme nous y invite Christian Salmon, auteur de Storytelling et de La Cérémonie cannibale, son dernier essai : et si les hommes politiques étaient devenus de simples « performers » d'un théâtre vidé de son contenu?

     

    VÉRITÉ OU MENSONGE, LÀ N'EST PLUS LA QUESTION

    «Depuis les années 1990, la révolution des technologies de l'information, l'explosion d'Internet, des réseaux sociaux, des chaînes d'info en continu ont profondément changé la communication politique. L'important, aujourd'hui, pour un homme politique, c'est la qualité de sa performance : sera-t-il cru ou non? Sera-t-il capable d'imposer son histoire ou sa version de l'histoire ? Dans l'affaire Cahuzac, du point de vue de ses conseillers en communication, l'important n'était pas qu'il ait ou non un compte en Suisse, mais qu'il soit capable d'affirmer, les yeux dans les yeux, au président de la République qu'il n'en avait pas.L'essentiel est de convaincre, d'avoir le culot d'affirmer. Aujourd'hui, le couple réalité/fiction s'estompe au profit d'un autre : ce qui marche et ce qui ne marche pas. De la question de la vérité et du mensonge, nous sommes ainsi passés à celle de la croyance. Le storytelling des hommes politiques et son décryptage sont devenus les deux mamelles d'une démocratie qui a substitué le récit à l'action, l'art de la mise en scène à celui de gouverner.»

    FACE À L'IMPUISSANCE DU POUVOIR, LE VOLONTARISME

    «La révolution néolibérale mise en place dans les années 1980 a bouleversé la question de la souveraineté. Auparavant, le monarque puis l'élu en démocratie bénéficiaient d'une véritable puissance d'agir. Aujourd'hui, à l'heure de la mondialisation, les politiques et les Etats sont de plus en plus impuissants face au pouvoir des marchés, des multinationales ou des instances supranationales, les banques centrales ou le FMI. Dans le film de Pierre Schoeller L'Exercice de l'Etat, on voyait ainsi le désarroi d'un haut fonctionnaire qui s'apprêtait à rejoindre un grand groupe privé: "L'Etat, c'est devenu une misère. Une vieille godasse qui prend l'eau de partout. Il n'y a plus d'argent. Il n'y a plus de puissance. [...] C'est quoi, le pouvoir sans la puissance?" La souveraineté, qui s'appuyait sur une double réalité, le pouvoir et sa représentation en la personne du roi ou de l'élu, est ainsi coupée en deux. D'un côté, le pouvoir sans visage des marchés et des technocraties. De l'autre, le visage impuissant des politiques. Quand le roi est nu, en quoi consiste alors l'exercice de l'Etat? Essentiellement dans la communication. "L'insouveraineté" des politiques va paradoxalement déclencher une inflation narrative, et ce que j'appelle le "volontarisme impuissant" : moins on a de pouvoir, plus on va afficher sa volonté de changer le monde. C'est le "Yes, we can" de Barack Obama ou "Le changement, c'est maintenant" de François Hollande, une formule perfor­mative qui occulte le contenu réel de ce changement. Si celui-ci ne vient pas, vous allez évidemment décevoir, perdre de votre crédit. Qu'allez-vous faire alors pour y remédier? Surenchérir dans le discours volontariste, entamant une spirale sans fin de communication de plus en plus sophistiquée et coûteuse. Dans un tel contexte, on voit bien que la question de la vérité ou du mensonge devient tout à fait secondaire. »

    L'ENJEU DE LA BATAILLE: IMPOSER SON RÉCIT

    « Si la vie politique se donne ainsi à lire comme un feuilleton intrigant, propre à capter l'attention, les politiques au pouvoir n'ont plus le monopole de la narration. Leurs récits suscitent en retour des multitudes d'autres récits, de contre-récits dans les médias anciens et nouveaux. Il y a les narrateurs de la majorité et ceux de l'opposition, ceux des journaux, et chacun d'entre nous qui twittons, discutons, approuvons, contredisons. Bien plus que l'émergence de la vérité, l'enjeu de cette bataille est d'imposer son récit. Dans l'affaire Cahuzac, c'est à l'évidence Mediapart qui a remporté cette partie de poker narrative. Il a su mettre en scène une histoire, la séquencer, la feuilletonner, et la produire au bon moment. La bataille, cette fois-ci, s'est bien terminée : le mensonge du ministre du Budget a été déjoué.»

    RÉSULTAT: PLUS PERSONNE N'Y CROIT

    «Une étude récente du Pew Research Center démontre que de 1958 à 2012 la confiance dans le gouvernement fédéral américain s'est effondrée, passant de 75 % à... 23 %! Dans les décennies 1970, 1980,1990, cette chute de confiance était due à des scandales comme la crise du Watergate ou l'affaire Monica Lewinsky. Aujourd'hui, cette perte de confiance n'est plus liée à un événement particulier, elle est tendancielle. L'"insouveraineté" a produit une sorte de figure problématique de l'homme politique, entre réel et fiction, action et communication, un personnage flou aux repères idéologiques de plus en plus indiscernables, devant lequel le peuple — ou plutôt l'audience — est fondamentalement sceptique. Au-delà de la question du mensonge, nous sommes entrés dans l'ère du soupçon généralisé. » •

     

     

    « Doug SneydMichael & Inessa Garmash »

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