• Lettre à Elina

     

     
    Elina Garanca_01a small

     

     

    Elina, ma chérie<o:p></o:p>

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    En lisant ta lettre, je n’ai pas été surpris, non, juste étonné qu’elle ait mis si longtemps à venir.<o:p></o:p>

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    Ce n’est pas vrai. Enfin, pas tout à fait.<o:p></o:p>

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    J’attendais ton départ depuis le soir ou, il y a trois ans, à Vienne, la chrysalide est devenue papillon. Les spectateurs ont également compris qu’il se passait quelque chose.<o:p></o:p>

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    Je me souviendrai toujours de la qualité du silence, quand tu as commencé à chanter et de la salve d’applaudissements qui a suivi, prouvant que je ne me trompais pas.<o:p></o:p>

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    Je suis sûr que tu te souviens, toi aussi, de ce soir de Noël, ainsi que du morceau au programme et de la chaleur du public.<o:p></o:p>

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    « El cant dels ocells » de Montsalvage.  Etait ce l’introduction magnifique du violoncelle qui a favorisé cette éclosion ? Où bien le cadre somptueux de la «Salle Dorée» du Musikverein ?<o:p></o:p>

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    Toujours est il que mon émotion fut telle que, comme d’habitude, quand c’est trop de bonheur, je ne peux m’empêcher de craindre aussitôt la catastrophe, qui, inévitablement suivra.<o:p></o:p>

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    Tu sais que je suis ainsi fait.<o:p></o:p>

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    Tu le sais, n’est ce pas ?<o:p></o:p>

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    Après le concert, me dirigeant vers ta loge pour te serrer dans mes bras, je pensais que, quoi qu’il arrive maintenant, j’avais été comblé. Je partageais la vie d’une princesse depuis trop longtemps. Ces vingt ans qui nous séparent, pardonne moi de me répéter, ont toujours constitué un obstacle au couronnement de la reine que tu es devenue, appelée à un avenir glorieux.<o:p></o:p>

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    J’avais du mal à l’admettre mais c’est ainsi.

     

    M’apercevant, tu as couru vers moi à travers la foule de tes admirateurs, pour me serrer dans tes bras, resplendissante de bonheur. J’ai compris alors que je commençais à te perdre.<o:p></o:p>

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    Nous avons vécu de merveilleuses années ensemble.  Tes années de travail au conservatoire, tes progrès…Ta beauté s’épanouissant en même temps que ta voix. Tu m’as donné plus que ma part de rêves et je ne t’en remercierai jamais assez.<o:p></o:p>

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    Alors, oui, bien sûr, je suis triste, de ton petit mot d’adieu. Mais je m’étais préparé à ce jour, autant qu’il est possible.<o:p></o:p>

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    J’ai emmagasiné tellement de trésors, en prévision de ton départ, que tu resteras prés de moi, jusqu’à ma mort.<o:p></o:p>

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    Tes disques, les articles de journaux qui jalonnent ta carrière, les photos de notre vie commune, tout cela occupe mon esprit et comble mes vieux jours.<o:p></o:p>

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    J’ai toujours su, depuis cette nuit de Noël à Vienne que je vivais en sursis. Alors, vois tu, je comprends à la fois la tristesse et le bonheur qui s’expriment dans tes mots.<o:p></o:p>

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    Ne sois pas triste. Je serai toujours là, si nécessaire. Nous avons été amants. Ce fut une période inoubliable, mais j’étais, et je reste, avant tout, ton ami.<o:p></o:p>

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    Vis tes rêves ! Profite des fruits de ton travail. Tu ne dois rien à personne. Tous ceux qui ont croisé ta route, ont reçu de toi autant qu’ils t’ont donné. Et moi, encore beaucoup plus.<o:p></o:p>

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    La vie m’a fait un cadeau inestimable, d’autant plus précieux qu’il n’était pas éternel.<o:p></o:p>

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    Tu as à la fois la beauté et la voix. C’est trop pour un seul homme ! Une reine se doit à ses sujets et le favori du moment n’est là que de passage. Il doit le savoir et l’apprécier. C’est la moindre des choses.<o:p></o:p>

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    J’ai recueilli deux jeunes chatons supplémentaires. Cela fait douze chats maintenant. Tu te rends compte ! Je n’ai plus de temps pour moi, pour mes livres et pour ma musique.<o:p></o:p>

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    Mais peu importe. Les chats sont les silences qui ponctuent la mélodie. Aussi nécessaires que les notes, que la ligne de chant. Mes chats sont des soupirs, de longues pauses.<o:p></o:p>

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    Les deux petits derniers, tout noirs, sont très affectueux et indisciplinés comme tous les chatons. La petite femelle a juste une touffe de poils blancs dans le cou.<o:p></o:p>

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    Elle est tellement agitée que je l’ai baptisée Chifonette.<o:p></o:p>

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    Quand je la prends dans mes bras, elle se tortille, sans me griffer, jusqu’à ce que je la libère. Elle est pétillante comme du champagne et vive comme un ressort. Elle  ne fait que des bêtises. Elle saute sur mes genoux au moment ou je m’y attends le moins, et plus particulièrement lorsque je suis occupé.<o:p></o:p>

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    Elle me fait penser à toi quand on s’est rencontré. Ton sourire espiègle et tes petits escarpins noirs…<o:p></o:p>

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    Comment retenir un tourbillon dans ses bras ? Comment ne pas aimer tendrement celle qui n’aime que les contrepoints, les trilles vertigineuses, les escapades, qui sait très exactement ce qu’il ne faut pas faire et qui plonge, cependant, à pieds joints, dans les interdits ?<o:p></o:p>

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    Que de colères, de rages, d’impatiences, nous avons vécu. Que de pleurs inconsolables et de désespoir enfantins. Bon dieu, que j’aimais cela !<o:p></o:p>

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    La vie, c’est forcément perturbant. La vie, c’est toi.<o:p></o:p>

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    Tes moments de désespoir devant une ligne mélodique qui s’échappe refusant de se plier à ta volonté, mais aussi, ton bonheur, quand le chant devenait enfin musique, courbe gracieuse et longiligne, et enfin ton sourire, lorsque tu me regardais, pour vérifier que j’avais bien compris.<o:p></o:p>

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    Tu vois ! Tu es toujours près de moi et je te suis, partout. Je me fais tout petit, invisible, mais je suis là. Et je sais que tu le sais.<o:p></o:p>

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    Je suis dans la salle à chacun de tes concerts et tu es là, toi aussi, pour toujours dans mes pensées. Je devine ce que tu ressens quand tu chantes. Je déchiffre, à tes expressions sur scène, ce qui te trouble où qui te remplit de joie.<o:p></o:p>

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    Simplement, ce n’est plus moi qui reçois tes baisers, à la fin  du spectacle.<o:p></o:p>

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    Cette complicité me manque, bien sûr. Et tes éclats de rire, aussi. La douceur de tes lèvres...<o:p></o:p>

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    On a beau s’y attendre, comment se préparer à l’absence de chair, à ce vide soudain. Ce jeune chef qui t’accompagne partout aujourd’hui, est il doux, tendre et attentif ?<o:p></o:p>

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    Certes, il connaît la musique. Mais est ce suffisant ?<o:p></o:p>

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    Je ne suis pas venu te voir, hier soir, dans ta loge, comme tous les autres soirs ou je te savais, pas très loin. Je n’aurai peut être pas pu repartir.<o:p></o:p>

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    Je sais que tu le sais, et que tu le comprends.<o:p></o:p>

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    Je te vois grandir cependant. Tu es devenue une belle jeune femme et ta voix s’est enrichie. Ton timbre est à la fois plus sombre dans les graves et plus éclatant dans les aigus. Ta maîtrise de la ligne de chant te permet à présent de te consacrer à tes rôles et ton talent d’actrice ajoute encore à ton succès.<o:p></o:p>

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    La représentation du « Cosi » à Aix, cet été, l’a prouvé. J’ai lu les critiques dithyrambiques. Elles sont méritées. J’ai beaucoup aimé ta conception du rôle de Dorabella. Tu as gommé une part de sa frivolité au profit d’une roublardise qui existe, à mon sens, dans la musique de Mozart. En respectant tout de même son amour du jeu et des plaisirs de la vie.  <o:p></o:p>

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    Mais je ne suis sans doute pas impartial. En fait, je ne voyais, je n’entendais que toi. Peut être est il donc préférable que tu sois partie. Je ne suis plus objectif. <o:p></o:p>

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    Chifonette vient de s’installer sur ma lettre. Elle m’a regardé un moment et elle a filé. Peut être a t-elle senti que je lui faisais des infidélités, qui sait ?<o:p></o:p>

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    Posterai-je cette lettre un jour ? Elle n’est pas destinée à être lue par toi. Je ne veux pas voiler ton regard, ne serait ce qu’un moment. Il est trop tôt encore, je pense, pour que je vienne troubler ton nouvel élan.<o:p></o:p>

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    Sans doute même sera t-il toujours trop tôt.<o:p></o:p>

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    Je t’aime.<o:p></o:p>

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  • Commentaires

    1
    Julien Daumange Profil de Julien Daumange
    Mardi 13 Janvier 2009 à 18:59
    Qui est Elina G...? Les m?manes qui v?rent le chant le devineront sans doute. Elle vient d'avoir 30 ans et on entendra parler d'elle, de plus en plus. Elle est vivante, superbe de gr?, et poss?,en plus d'une voix merveilleuse de mezzo soprano, une pr?nce indiscutable sur sc? et un sourire enjoleur... Pour une fois, on y croit. Cela nous change des belles voix beaucoup trop envelopp?, que l'on a le plus grand mal ?maginer en amoureuse id?e....Ne reste plus qu'?ui trouver un amant cr?ble...
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    2
    Angeldolls
    Jeudi 22 Janvier 2009 à 12:36
    C'est une belle histoire que vous avez v? l?.il ne reste que des souvenirs, en esp?nt pour vous qu'ils ne fassent pas trop mal...
    3
    MENEGMJFICTIONS
    Mercredi 18 Février 2009 à 10:37
    C'est irritant, et douloureux, d'?e aim?d'un homme qui nous laisse partir, pour une poign?de vingt ans de diff?nce, tandis que nous nous ?ignons, le coeur malade d'amour pour lui.
    Vous connaissez une version de l'histoire, et moi, l'autre.
    Bien ?ous, MJ
    4
    lafloflo
    Samedi 28 Février 2009 à 18:23
    Bonsoir, je visite votre blog, suite ?a lecture d'un po? sur le forum "Aimer ?ire", o? viens de m'inscrire. Je ne peux m'emp?er de poster un petit com' sur votre magnifique lettre d'amour. L'Amour-don, celui qui respecte l'autre dans son int?it?qui se nourrit des diff?nces r?proques sans phagocytose, qui laisse la porte grande ouverte pour que l'Aim?) d?oit ses ailes vers son destin...Tr??uvant, belle histoire, j'adh?, j'appalaudis, je m'incline.
    Florence
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