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Le pédoncule de l'enfer...
Le pédoncule de lenfer<o:p></o:p>
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Antoine, passionné de plantes et de fleurs cultivait avec amour son jardin. Chaque soir, après le travail, il passait deux ou trois heures, suivant la saison, à biner, sarcler, arracher ou planter de nouvelles graines. Et, tous les matins, avant de partir à l'usine, il faisait le tour de ses massifs, branchant, si nécessaire, l'arrosage automatique programmé, quil avait lui-même installé.<o:p> Soin fils</o:p> Julien, 7 ans, aimait bien lui aussi, après l'école, avant de sattaquer à ses devoirs, rejoindre son père et le regarder travailler. Posant dinnombrables questions sur les plantes, auxquelles son papa répondait toujours avec une infinie patience et beaucoup de rigueur, le petit garçon aidait son père de son mieux en récoltant les petits tas de déchets végétaux arrachés pour les jeter sur le tas de compost, derrière la maison.
A force dattention et de soins prodigués, le jardin pavillonnaire était devenu un miracle d'équilibre et de couleurs. Les voisins admiratifs et un peu jaloux, venaient souvent demander des conseils à Antoine pour leur propre jardin, ce dernier n'en étant pas avare.
<o:p> </o:p>Un jour, alors qu'à son habitude il arrachait les mauvaises herbes, Julien le vit examiner attentivement dans un massif, une sorte de petit bâton enfoncé dans le sol. Pas très haut, cinq centimètres à peine, dépourvu de feuilles et de ramures, il sortait de terre comme un objet incongru au milieu de la verdure ambiante. Julien sapprocha et demanda ce que c'était.
<o:p> </o:p>- Je l'ignore, répondit son père. Je nai jamais vu cela. Une sorte de parasite sans doute .
<o:p> </o:p>Disant cela, il déracina prestement l'importun et l'envoya rejoindre les autres déchets dans la brouette.
Le lendemain, exactement à la même heure et au même endroit, l'objet non identifié réapparut. Une nouvelle fois, Antoine l'arracha, intrigué. Cependant, avant de le jeter il l'examina attentivement. Cela ressemblait à une sorte de courte tige vert pâle, absolument nue et pourvue d'abondantes racines mesurant près du double de sa partie émergée.
Le jour suivant, même surprise. Le jardinier, pourtant expert, y perdait son latin. Il décida donc de laisser les choses en l'état afin de pouvoir suivre le développement de cette étrange pousse qui, assurément, navait pas sa place dans son univers floral.
Mais il n'en apprit pas davantage. Pour la raison toute simple que le parasite ne grandit pas. Pendant presque un mois, il conserva sa taille du premier jour et, si le papa de Julien n'avait pas chaque soir, arraché les mauvaises herbes autour de lui, elles auraient fini par le dissimuler tout à fait. Excédé, notre jardinier arracha une fois encore rageusement cette verrue inutile et disgracieuse.
Peine perdue ! Chaque matin et chaque soir, l'excroissance disgracieuse continua à le narguer. Antoine consulta des encyclopédies, visita les sites Internet concernant les plantes, arbustes, graines, parasites, et autres habitants insolites des parcs et des jardins.
Mais rien ! Il n'apprit rien concernant cet intrus qui n'avait pas d'existence répertoriée ! Cela le minait. Julien voyait bien que son papa se désolait. Sa mère houspillait gentiment son mari, mais hésitait à se moquer ouvertement de lui, connaissant sa susceptibilité à ce sujet.
Impuissant, Antoine renonça finalement à arracher ce « Pédoncule de l'enfer » comme il l'appela, qui sembait le narguer. Ne pouvant éradiquer ce souci majeur, il se résigna à l'entourer dun massif de fleurs, discrètes mais de bon goût qui le dissimulait sans véritablement l'occulter. Inutile de planter une garniture imposante, puisque ce « Machin ! » ne se développait pas !
Les mois passèrent.
Ne voulant pas irriter davantage son père, Julien, en cachette surveillait aussi l'endroit maudit. Il lui semblait pourtant que certains jours, alors qu'il écartait délicatement les fleurs pour mieux le voir, le « Pédoncule de l'enfer » n'était pas aussi laid que le prétendait son père, et même qu'il avait un air penché somme toute sympathique .
Antoine mourût à 58 ans dun infarctus, alors que son fils venait d'avoir seize ans. Il était tombé un soir dans son jardin et ne s'était plus relevé. Sa mère qui ne s'intéressait pas plus que ça aux plantes, ne conserva que quelques massifs devant la maison qu'elle continua d'arroser et d'entretenir. Mais des pans entiers des créations de son mari tombèrent à l'abandon.
Julien navait pas hérité de la passion de son père. Ce qu'il aimait et respectait par dessus tout, cétait la passion d'Antoine, ce bonheur qui irradiait de son visage lorsque son travail acharné produisait de splendides résultats. Il savait que son père, si méticuleux, souffrait en permanence de l' épine du pédoncule empoisonné, plantée dans son talon. Il voyait bien que cette plaie s'infectait chaque jour davantage et avait sans doute contribué a sa disparition brutale.
Julien fit des études brillantes, demeurant avec sa mère jusquà ses 21 ans. S'il navait pas hérité de la passion de son père pour les plantes, il tenait de lui en revanche son caractère entier et parfois excessif. Adolescent sensible et peu sûr de lui, il savait néanmoins défendre ses idées avec opiniatreté lorsqu'il estimait avoir raison, ou être dans son bon droit.
Rentrant chez lui un soir, tard dans la nuit, après une soirée de discussion avec des amis, il rendit visite au « Pédoncule de l'enfer ». Relégué au fond de ce qui restait du jardin de son père, il ne se décidait pas à disparaître. Sans aucun entretien, aucun arrosage, il était toujours là. Discret mais bien présent.
Les années passèrent encore. Julien, titulaire dun master en sciences humaines et sociales et souhaitant devenir ethnologue, obtint une bourse et il s'embarqua, à 24 ans pour un voyage détudes à travers le monde.
Cest au cours dune de ses escales quil rencontra un curieux personnage. En Inde, plus précisément. Un brahmane, discret, la plupart du temps silencieux, grand expert, comme son père Antoine, en plantes exotiques. Il cultivait, lui aussi, un jardin. Cest ce quil dit à Julien alors que celui-ci l'interrogeait sans obtenir beaucoup de réponses. Voyant dans cette possible complicité entre la passion de son père et celle du vieux sage une ouverture qui dériderait un peu le bonhomme, Julien lui raconta lhistoire du « Pédoncule de l'enfer » qui sévissait toujours chez ses parents, pensait-il, au fond du jardin abondonné de son père. Alors quil tentait de décrire du mieux possible le phénomène, le vieux brahmane tout maigre et tout ridé - comme on imagine toujours les vieux sages hindous, - hochait la tête, intéressé. Il regarda longuement le jeune homme, réfléchit encore un long moment, et dit:
<o:p> </o:p>- Il me semble comprendre de quoi tu parles. Ce que je peux te dire c'est qu'effectivement cette graine, car c'est bien d'une graine qu'il s'agit, peut rester enfouie sous la terre pendant de longues années, mais que, lorsquelle se décide à croitre, elle se développe beaucoup. Un jour, on ne sait jamais quand, c'est elle qui décide, elle pousse, parfois au bout de 10, 20, 30 années. Mais elle finit toujours par se développer. Un jour, elle grandit, et voilà ! Je ne pourrais pas te dire pourquoi, mais cest ainsi.
<o:p> </o:p>- Comment sais tu cela, vieil homme ?
<o:p> </o:p>- Jen ai une dans mon jardin.
<o:p> </o:p>- Pourrais-je la voir, s'il te plaît ? Pour vérifier s'il sagit bien du « pédoncule de l'enfer » ?
<o:p> </o:p>- Pédoncule de l'enfer ?
<o:p> </o:p>- Mon père lappelait ainsi.
<o:p> </o:p>- Pourquoi ? dit le vieil homme deamda le vieux sage avec une certaine agressivité.
<o:p> </o:p>- Parce que, grand prêtre, cette graine, petite et moche, ne ressemblait à rien de connu. Mon père l'a arrachée plusieurs fois, pensant à une mauvaise herbe. Mais, comme elle réapparaissait sans cesse et qu'elle s'arrêtait de croître après avoir émergée de terre, il l'a baptisée ainsi. Cette excropissance non désirée dans son jardin qu'il chérissait l'a turlupiné jusqu'à la fin de sa vie.
<o:p> </o:p>- Ton père est mort sans quelle se soit développée ?
<o:p> </o:p>- Oui. Ni développée, ni d'ailleurs disparue. Elle doit encore se cacher au milieu des herbes folles. Quand je rentrerai, je vérifierai.
<o:p> </o:p>- Alors, elle nétait pas pour lui.
<o:p> </o:p>- Que veux tu dire ?
<o:p> </o:p>- Que cette graine ne pousse pas tout à fait par hasard. Si elle a fait son apparition dans le jardin de ton père, ce n'est pas fortuit mais elle ne lui était pas destinée
<o:p> </o:p>- Je ne comprends pas.
<o:p> </o:p>- Viens avec moi.
<o:p> </o:p>Ils se levèrent et aprés avoir marché un long moment, ils pénétrèrent dans un immense jardin. Le long des allées, apparemment dessinées sans aucun plan d'ensemble, poussaient des plantes et des fleurs de toutes les couleurs possibles et inimaginables. Julien qui, grace à son père s'y connaissait un peu, ne reconnut aucune espèce connue de lui. La luxuriance de cet enchevêtrement de verdure, ces motifs bigarrés ne faisaient pas du tout désordre mais inspiraient au contraire au promeneur un sentiment d'harmonie paradoxale, une impression de sérénité qu'accentuait encore le mélange subtil de parfums délicats. Magnifique et envoutant !
<o:p> </o:p>Abasourdi, le jeune homme ne savait plus ou poser les yeux.
<o:p> </o:p>- Cest incroyable dit-il. Il semblerait que ce jardin ne soit pas entretenu tellement il est dense et touffu. Et pourtant, je ne distingue aucune herbe sauvage, aucun parasite, aucun désordre Comment faites vous ?
<o:p> </o:p>- Je ne fais rien.
<o:p> </o:p>- Comment cela vous ne faîtes rien ? Pardon, grand prêtre . Je voulais dire... Mon père passait des heures à nettoyer ses plates bandes, à éradiquer les mauvaises herbes
<o:p> </o:p>- Sans doute. Mais ce jardin s'est developpé et s'entretient tout seul.
<o:p> </o:p>- Cela paraît irréel et je ne vois pas le rapport avec mon "pédoncule de l'enfer" ?
<o:p> </o:p>- S'il te plaît, ne l'appelle plus ainsi. Ton père ne savait pas mais toi, maintenant tu as vu. Cette graine rare, dont tu m'as révélé l'existence chez toi, c'est elle le jardinier, l'artisan de ce chef d'oeuvre. Elle EST ce jardin ! Ce que tu as sous les yeux, c'est ELLE, toujours en développement !
<o:p> </o:p> De retour chez lui, Julien retrouva sa mère, son travail, sa maison, et ses amis.
<o:p> </o:p>Sa mère le trouva changé. Plus calme, nettement moins fébrile, beaucoup moins impatient, plus serein. Elle le lui dit.
- Toi, tu as dû apprendre et découvrir pas mal de choses, lui dit elle
<o:p> </o:p>- Oui. Jai beaucoup appris, répondit- il
<o:p> </o:p>Aujourdhui à la retraite, Julien, à la mort de sa mère a gardé la maison. Le « pédoncule de l'enfer » est sorti de sa gangue .
<o:p> </o:p>Chaque jour il donne naissance à une nouvelle plante inconnue.
<o:p> </o:p>Le jardin de son père se reconstitue lentement, tout seul .
Tout seul ?
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Jai écrit cette petite nouvelle "à la manière de" Dino Buzzati dont les merveilleux contes du « K » pleins de poésie et dimagination mont accompagnés pendant toute ma vie et continuent de maccompagner. Ils ont développé leurs ramures en moi comme les branches et les fleurs de ce jardin magnifique dont jai rêvé plus haut.
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Dans mon blog, dans la rubrique « les amis qui ont balisé mon chemin » vous trouverez 2 nouvelles de lui. Le « K » bien sur, mais aussi « Douce nuit »
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Commentaires
2visiteur_MimiSamedi 4 Octobre 2008 à 00:20ju'.... j'ai lu avec plaisir comme tjrs ... je suis bien, un sourire aux levres.... merci à toi... je vais au dodo rever de tout ça et en pensant à toi... je t'embrasse fort mon ju"... à tres vite3visiteur_furious4Dimanche 5 Octobre 2008 à 22:08un jardin enchanté une leçon de vie ....merci julien qel plaisir .......
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Merci Julien. Bisous.