• Fugue en la mineur

     

     

    Matthew Weller Photography
     
     
     

     

    Fugue en la mineur

     

    Il ferma les volets et verrouilla la porte, avant d’aller se coucher.

    Une soirée de plus, passée devant la télé jusqu’à la fin des programmes, avec le regard expressif d’un bovin qui regarde passer un train.

    « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » pensa t-il…

    Ce vers d’Aragon qui venait de lui traverser l’esprit, le fit sourire.

    Depuis le départ de Solange, Michel s’éteignait doucement.

    Tout lui devenait indifférent. Il n’allait plus au bureau et son congé de maladie venait d’expirer pour la troisième fois.

    Sa vie partait en biberine. Il le sentait bien  et il s’en foutait.

    Les jours succédaient aux nuits, s’effilochant comme les mailles du vieux pull en laine qui tapissait la corbeille du chat.

    Il aurait bien voulu la retenir cette fois, Solange, mais comme d’habitude, il avait laissé faire.

    À quoi bon ?

    Il avait toujours fonctionné comme ça, considérant que lutter était et serait inutile.

    « Tu démissionnes toujours trop vite » lui avait dit un jour son copain Paul.

    Mais argumenter, discuter, gémir, convaincre, ce n’était pas son fort. Il en était incapable.

    Alors il avait pris sur lui, et il avait laissé partir son épouse, sans dire un mot pour la retenir. Pourtant, cette fois, il avait failli lui  demander de rester.

    La télévision éteinte, Michel retourna s’asseoir sur le canapé, négligeant d’allumer la lumière. Les doutes repartaient à l’assaut de sa mémoire, les mêmes questions revenaient en boucle.

    Pas la peine d’essayer de dormir.

    « Pourquoi n’ai je rien dit ? Pourquoi les mots ne sortent ils jamais? Pourquoi les appels se coincent ils chaque fois dans ma gorge ? Pourquoi cette impuissance à demander… ? »

    Il aurait dû. Plus le temps passait depuis son départ, et plus il s’en voulait de cette impuissance maladive à exister, à dire qu'il comptait, que ce qu'il pensait comptait aussi, qu'il fallait en tenir compte, quoi, merde !.

    Combien de fois Solange était partie sans crier gare. Elle n’était bien nulle part. Toujours insatisfaite, toujours ce désir d'ailleurs, d'aller voir si, un peu plus loin, l’herbe serai plus fraîche….

    Jusqu’ici, elle était revenue. En morceaux, défaite et blessée, mais toujours aussi belle et émouvante.

    Michel le solide ! Michel l’amarre ! Michel la bouée !... Michel toujours présent, toujours fidèle au poste !

    Au fond, il devait bien reconnaître que quelque part, il appréciait ce rôle. Le seul qu’il savait tenir. Pas la peine de le nier, inutile de prétendre le contraire. Paul l’avait confirmé, renonçant à comprendre son ami, il se bornait maintenant à secouer tristement la tête.

    Mais non pourtant ! Il n’était pas juste cela !

    Certes, il ne comprenait pas cette envie de bougeotte qui tenaillait son épouse, mais en même temps, il la comprenait. Difficile à expliquer. Ses fugues périodiques le déconcertaient, mais il savait en même temps que Solange, sans ses désirs de jonques, ce n’était plus Solange.

    Et puis il y avait chaque fois les retrouvailles, et ça, c’était tellement bon ! De nouveau toute à lui ! Pendant quelques mois, ils redevenaient amoureux comme au premier jour. Il appréhendait les départs, mais il guettait les retours…Oui ! Peut être bien que oui, qu’au fond il était un peu maso...

    Cette fois pourtant, un pressentiment l’avait envahi. Cette fois, peut être ne reviendrait-elle pas.

    Ce n’était pas un coup de tête. Il l’avait vue hésiter. Il avait bien vu qu’elle était perturbée. Mal à l’aise… Les fois précédentes, un matin, pffffff, plus personne, et pis voilà.

    Elle avait passé pas mal de temps les jours qui avaient précédé son départ, devant l’écran, de son PC à tapoter sur le clavier. Et puis un soir, alors qu’il lisait dans le salon, il l’avait entendu parler avec quelqu’un. Solange, dans le bureau, s'entretenait avec quelqu'un, à voix basse. Au début il avait pensé qu’elle lisait à voix haute, ou bien qu’elle parlait toute seule. Il s’était approché, mais lorsqu’il avait entendu une voix d’homme légèrement nasillarde, il avait rebroussé chemin, renonçant à poser des questions, préférant battre en retraite et reprendre sa lecture, comme si de rien n’était.

    Bien entendu, cet épisode l’avait troublé et le lendemain, observant Solange à la dérobée, il avait cru lire sur son visage un désarroi certain.

    Il avait dit à son copain Paul :

    - Je crois que cette fois, Solange est amoureuse. Je crains un départ définitif.»

    - Qu’est ce qui te fait dire ça ?

    - Elle parle avec quelqu’un, sur internet, depuis plusieurs jours, le soir dans le bureau…

    - Tu lui en a parlé ?

    - Tu sais bien que non. Solange n’aime pas que je l’interroge.

    Deux mois aujourd’hui qu’elle était partie et la boule dans sa gorge était toujours là. Michel s’en voulait terriblement de n’avoir pas cherché à savoir, de n’avoir pas tenté de la retenir.

    « Puisque j’avais senti que ce n’était pas comme les autres fois, puisque j’avais compris que c’était plus sérieux, pourquoi n’ai-je rien dit ? Rien fait ? Pourquoi suis je ainsi ? Incapable d’intervenir ? J’aurai dû demander, interroger... Mais non ! Comme un con, j’ai continué à jouer mon rôle de plante verte, posé une fois pour toutes dans le salon. Voilà ce que je suis. Un meuble ! Alors qu’aurais je bien pu faire pour qu’elle renonce à partir? Rien, absolument rien ! Connard, connard, connard de chez connard que je suis !»

    Michel se leva brusquement et marcha de long en large dans la pièce, comme un lion en cage.

    « Bien sûr ! Si elle part comme ça tout le temps, c’est parce qu’elle s’emmerde avec moi ! Elle s’emmerde parce que je suis un pauvre type ! Un type pas méchant bien sûr, mais inodore, incolore sans saveur ! Ce besoin qu’elle a de vivre, de rêver, de s’amuser, de danser… Mais pas avec moi ! Moi, je suis un éteignoir, un gentil garçon attentionné, prévenant…mais tellement terne, ennuyeux, prévisible ! Et pour Solange, être prévisible c’est un délit majeur ! Avec moi, pas de surprises, jamais de sourcils levés, d’étonnements spontanés! Des cadeaux, ça oui, plein de cadeaux, mais pas de surprises ! Pas de ces surprises qui donnent des frissons et des envies de câlins et d’amour…»

    « Pourtant je l’aime ma Solange ! Et je sais qu’elle m’aime aussi, au fond, puisqu’elle revient toujours. Alors reviens, s’il te plaît, encore une fois ! Reviens ! Comme les autres fois, je t’en supplie, reviens ! »

    Michel se laissa tomber sur le canapé, plongea son visage dans ses mains, et pleura, à gros sanglots.

    Le chat, intrigué, leva la tête, s’approcha de son compagnon et frotta son museau contre cette main qui savait si bien le caresser. Puis il s’installa prés de lui en ronronnant doucement.

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  • Commentaires

    1
    lueur vive
    Vendredi 20 Novembre 2015 à 12:38
    Joli... il ne sait prendre de la place ce Michel... on lui a dit qu'il fallait qu'il reste 'tranquille'..il console, est médiateur....mais ne s'impose pas.. parfois...parfois...il faut...
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    2
    lueur vive
    Vendredi 20 Novembre 2015 à 12:38
    Joli... il ne sait prendre de la place ce Michel... on lui a dit qu'il fallait qu'il reste 'tranquille'..il console, est médiateur....mais ne s'impose pas.. parfois...parfois...il faut...
      • Julien Daumange Profil de Julien Daumange
        Vendredi 20 Novembre 2015 à 16:19
        Merci de ta visite, et de ton commentaire Lueur vive.., Bisous
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