• Fanfouin


    "Objets inanimés, avez-vous donc une âme
    Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?"

    <o:p> </o:p>

    Alors que ces deux vers  de Lamartine me passaient par la tête l’autre soir, j’ai soudain repensé à Fanfouin, le vieux chiffonnier folklorique que j’avais bien connu, étant jeune, dans mon village natal du Lot et Garonne.


    A cette époque, j’entretenais tant bien que mal, une vieille 2CV citroen que ma mère m’avait laissée en héritage. Ne travaillant pas et ne voulant pas d’un métier qui m’aurait placé sous la botte d’un patron, je poursuivais des études que je parvenais difficilement à rattraper.


    Toujours à la recherche de pièces détachées pour mon véhicule,  j’allais donc rendre visite assez souvent à Fanfouin, dont les réserves inépuisables de fournitures usagées me permettaient de faire durer mon asthmatique 2 CV.


    Chaque fois que je lui rendais visite, le vieux monsieur… enfin, je dis vieux, mais en réalité il n’avait pas d’âge où plutôt, on ne savait pas quel age lui donner. Il en va ainsi de ces personnages dont on dit qu’ils ont un « grain » et qui, à l’époque dans les villages de campagne, faisaient partie du décor. Ils ne vieillissaient pas. On leur payait un coup à boire ou bien on leur donnait de temps en temps des petits boulots. Ils faisaient partie de la communauté, ils étaient acceptés et reconnus dans la petite société,... intégrés… comme on dit maintenant, alors qu’aujourd’hui, ils sont entrés et demeurent dans l’anonymat des sans - abri…


    Avant, quand l’un d’eux mourrait, il y avait du monde à l’enterrement…


    Les Fanfouins, Mortesagne, Blanchounet ou Picrate….


    J’aimais bien leur compagnie. Je rigolais avec eux. On buvait un coup en passant. Je ne me moquais pas d’eux. Jamais. D’ailleurs, personne ne se moquait d’eux. « Bienheureux les simples d’esprit, car ils verront Dieu… ». Dans le village, on les voyait plutôt comme des porte bonheur.


    Je trouvais rafraîchissantes et drôles leurs réparties sur les gens et sur le monde. Pas de discours convenus, pas d’entrée en matière fastidieuse, pas de politesse obligatoire, on entrait tout de suite dans le vif du sujet.


    Pour eux, j’étais l’étudiant. Je savais des choses, et ils me questionnaient sur mon « savoir ».


    - Alors, toi qui étudie, me demandaient ils, qu’est ce que tu penses de tout ça ? On est mal barré non ? Ça va mal, crois moi, très mal !…Ces politiques se foutent de notre gueule !…Et ce Gaston, qui a encore trouvé le moyen de se faire réélire à Marseille, si c’est pas malheureux !


    Avec ces grands prophètes, la fin du monde n’était jamais très loin…l’apocalypse pointait le bout de son nez à chaque rencontre…Moi, je trouvais cela assez sympathique et plutôt réjouissant…


    Mais voila t-il pas que je fais comme eux ? Je m’égare…


    Revenons à Fanfouin…


    Lorsque j’allais lui rendre visite dans son « atelier » je le trouvais le plus souvent occupé à dégrossir, racler, poncer, lustrer, des vieux trucs tout rouillés dont je me demandais à quoi ils pourraient bien servir une fois retapés.


    Comme je lui en demandais un jour la raison, Fanfouin me répondit : <o:p></o:p>


    « La rouille c’est la maladie du temps des objets. Si l’on ne fait rien, ils crèvent doucement. Regarde ! J’en ai un plein champ. Si c’est pas malheureux ! Toi, tu t’en fous, tu es jeune ! Plus ça va, et plus les gens s'en foutent! Ils ne soignent plus, ils jettent ! D’ailleurs, se soignent ils eux mêmes ?  Je te le dis, Julien, tout ça finira mal ! A force de gaspiller on vivra dans une grande poubelle ! Le monde court à sa perte ! Mais c’est pas parce que les gens sont cons que je suis obligé de l’être aussi, non ? Qu’est ce que tu veux aujourd’hui ? »


    « Te dérange pas Fanfouin, je vais faire comme d’habitude. Fouiner un peu.»


    Quand Fanfouin est mort, j’avais quitté le village depuis longtemps...


    "Objets inanimés, avez-vous donc une âme…"


    Fanfouin retapait tout ce qui lui tombait sous la main. Pour quel usage ? Peu importait. Il fallait sauver…Des vies ? Non, des objets hétéroclites, inutiles, rongés par l’usure du temps.

    <o:p> </o:p>

    Moi, j’aimais bien sa folie…


    ------------------------@-------------------------


    « Vague à l'âme ?Poussière d’étoile… »

  • Commentaires

    1
    visiteur_petite louv
    Dimanche 22 Juin 2008 à 14:21
    Très belle histoire, moi je l'appelerais "le bénévole du don de la renaissance" qu'en penses-tu? lol
    Ils sont nombreux, même s'ils se perdent dans l'histoire ces vieux là, mais ils ont l'amour de la vie en eux, on les croisent de moins en moins, c'est vrai, quand tu parles de ces anges là, ils revivent un peu, il serait fier de ça ton Fanfouin!!!

    gros bisous de ta petite louve, grande fan de tes écrits, continues Juju, ne te perds pas dans le monde des objets inanimés, à moins qu'un jour un Farfouin ne te croise sur son chemin...
    A bientôt
    2
    visiteur_Mima /jumbo
    Samedi 30 Août 2008 à 22:36
    Une belle epytaphe.
    3
    visiteur_starletteoh
    Jeudi 27 Novembre 2008 à 22:15
    eh oui ...nous sommes dans une société de consommation et c'est fou ce que nous produisons comme emballages par exemple qui ne servent qu'une fois ! Fanfouin, lui fait de la récup, une autre façon de redonner vie à toutes ces choses éphémères qu'on utilise et jettent aussitôt !
    Il est un artiste comme toi Julien, avec peu de choses, il donne la vie et nous donne une image différente du monde auquel nous appartenons !
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