• Entretien avec PAUL VEYNE

     

    Paul Veyne-L'énéide

     

     

    Entretien avec PAUL VEYNE,

    Historien de l'Antiquité

     

     

     

    Il y a des gens qui n'ont jamais cru en Dieu, c'est mon cas, et il y en a qui se convertissent, ce n'est pas mon cas. Je suis complètement incroyant. Sceptique. Bien qu'ayant très en­vie d'éprouver ce que cela fait d'avoir du sentiment religieux, je n'y suis jamais arrivé, et pourtant, je vous assure, j'ai lu sainte Thérèse, j'ai lu des textes pieux en masse, et non, rien, ça ne passe pas. Cela me désespère. Comme j'aime à le répé­ter, je suis dans le cas d'un asexué qui essaierait avec rage de comprendre de quoi est fait l'érotisme.  Benjamin Constant disait: «La religion est surtout touchante pour qui n'y croit guère. Je suis toujours ému quand je vois prier. »

     

    C'est exacte­ment mon cas: Je suis à Saint-Pierre de Rome, une foule vient — pardonnez-moi de l'impiété de ce que je vais dire —acclamer le pape, qui apparaît à son finestrone comme une sorte de vedette ou de chef. A l'entrée de l'église, une femme ignorant la foule, une femme à genoux abîmée en prière. J'étais sidéré !C'est une émotion fondamentale qui change le sens de l'existence, mais voilà, elle m'est étrangère...

     

    Je suis devenu depuis quelques années sensible à des phénomènes comme les arbres et surtout les nuages ; cela fait baudelairien, je sais, c'est pourtant sincère... Je suis fasciné par les mouvements des nuages, c'est pour moi une espèce d'au-delà sublime. J'ai eu à trois reprises des expériences ex­tatiques devant des paysages, surtout en haute montagne, l'alpinisme étant pour moi l'une des expériences les plus pa­radisiaques qui soient. La félicité que cela procure est invrai­semblable, et je comprends que, dans la mystique catho­lique, l'extase soit un avant-goût du Paradis que Dieu donne à des favorisés. Pour moi, cela n'a rien à voir avec l'émotion religieuse, c'est une félicité indicible, mais Dieu n'est pas là.

     

    Le sentiment religieux change-t-il le rapport à la mort?

     

    Je ne suis pas sûr que ce soit fondamental. Je ne crois pas que ce soit par peur de la mort ou espoir d'une autre vie que les gens éprouvent ce sentiment. Celui-ci est pur, désintéres­sé. Les explications psychologiques de la religion, je n'y crois pas, ce sont des balivernes. Les textes religieux mon­trent que la religiosité est une sensibilité sui generis, c'est-à-dire qui ne s'explique par rien d'autre, pas plus que ne s'ex­plique le sens de la beauté. Et c'est la beauté qui m'émeut.

     

    Vous avez parlé d'un sentiment désintéressé. Cette notion d'intérêt est très importante pour vous. Pourquoi?

     

    Le bonheur, pour moi, c'est de s'intéresser à quelque chose et d'y travailler. Quand on travaille, on est heureux, on ne pense plus à rien. Cet acte est désintéressé. Est inté­ressant ce qui n'a aucun intérêt matériel. Les gens qui ai­ment leur travail, en dehors du fait qu'il faut travailler pour vivre, sont quand même une majorité, et c'est comme ça que l'humanité peut subsister; sans cela, rien ne tiendrait. L'homme est un animal qui a la faculté de s'intéresser à des choses qui ne lui servent pas directement. Nous sommes comme des chiens de traîneau.

     

    Pardon ?

     

    Attachez des chiens à un traîneau et faites-les courir. Qu'est-ce que cela leur apporte? Rien. Mais cela les pas­sionne !

     

     

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    « Hymne à chaque matinAmuse toi ! »

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