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    Fenetre
     
     
     
     

    Mon fauteuil d'analyste près de la fenêtre : feuil­lage de l'arbre, chant des oiseaux.

     

    La table où j'écris : toujours au bord d'une fenêtre ; dans la maison de l'été, elle s'ouvre sur la lande, un petit bois et au loin la mer. Il arrive qu'une hirondelle vive et affolée me fasse une visite et volette un mo­ment dans la pièce.

     

    Contraste avec l'appartement de mon enfance : la fenêtre, face à mon bureau d'écolier, donnait sur le mur d'un garage désaffecté.

     

    En avion, obtenir le siège près du hublot ; dans le train, le coin fenêtre. Regret que dans les trains d'aujourd'hui, il ne soit plus possible de rabattre les grandes fenêtres du couloir longeant les com­partiments, de se pencher malgré l'interdiction en trois langues, quitte à attraper des escarbilles.

     

    Détestables, ces chambres d'hôtel climatisées avec leurs vitres inamovibles.

     

    Plaisir de rouler en voiture décapotée sur de petites routes de campa­gne. Là, pas d'enfermement dans l'« habitacle », mais l'air libre, le vent, quelques gouttes de pluie, je suis dehors et dedans, dans un champ et sur mon siège.

     

    Les fenêtres des peintres : Vermeer, Friedrich, Bonnard — surtout Bonnard. Des femmes à

    la fenêtre, le regard tourné vers le jardin tout proche ou vers les lointains, le ciel, l'invisible,

    à moins que ce ne soit sur le vide. Des représentations d'hom­mes à la fenêtre, sans doute y

    en a-t-il, je ne m'en souviens pas, ou alors ils se tiennent sur un balcon d'où ils peuvent

    surplomber la ville. Les hommes ignoreraient-ils le désir d'autre chose ?

     

    Je pourrais retracer les étapes de ma vie comme une succession de fenêtres qui s'ouvrent : les

    sorties hors de notre quartier et loin de la famille avec les camarades, l'apprentissage des

    langues étrangères, la classe de philosophie, mes premiers voyages hors frontières, mes amours

    (pas toutes...), mes lectures et relectures, mon analyse sur le divan, mes analy­ses dans le

    fauteuil.

     

    Paradoxe

     

    j'insiste pour que les portes, elles, soient fermées : chaque pièce doit avoir son usage propre, bien délimité.

     

    Ma « topique » subjective est à la fois celle des fenêtres ouvertes et de la chambre à soi.

     

    Jean Bertrand Pontalis - "Fenêtres"

     

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