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    Les impossibles rêves

     

     

    UCR-0081a
     
     
     

    Non, il n’avait pas décidé de baisser les bras.

     

    Pas décidé non plus de se poser sur le bord de la route pour regarder passer les trains.

     

    Et enfin non, il n’avait pas "irrémédiablement souffert" d'une maladie d'amour incurable qui avait détruit à jamais sa crédule innocence !…

     

    Non…

     

    Simplement…

     

    Épris d'idéal, passionné et plutôt rageur, rêveur romanesque en diable, sensible et sentimental, tous ces synonymes que l’on associe au romantisme, il les portait en lui, comme beaucoup d’autres de ses semblables.

     

    Ce n'est pas une question de nature qui nous différencie les uns des autres, mais bien plutôt une question de mesure, et en ce qui le concernait, sans doute aurait il fallu plutôt parler d’une question de démesure.

     

    Car il voyait tout en grand écran, en technicolor et en cinémascope. Il voulait, en toutes choses, le plus beau, le plus pur, le meilleur, le plus grand.

     

    Faisant confiance à ses émotions, le plus souvent violentes, il se dirigeait au jugé mais sans hésitation, toutes voiles dehors, vers ce qu’il pensait être le plus beau, le plus pur, le meilleur et le plus grand.

     

    Sur sa route, il brula un nombre impressionnant de décors qui lui semblaient de carton pâte, anéantit des milliers de leurres grossiers, mit en pièces une flopée de faux semblants, rejeta tous les compromis, refusa toutes les alliances discutables.

     

    Comme autant de moulins à vent se dressant sur sa route, il pourfendait d’estoc et de taille, sans même l’aide d’un Sancho Panza de pacotille, tous les obstacles qu’il rencontrait, qui le freinait, sans s’apercevoir bien entendu, faute de coups d’œil vers l’arrière, qu’ils recommençaient à tourner dés qu’il s’était éloigné !

     

    Cette quête épuisante fit aussi, bien entendu, pas mal de dégâts collatéraux.

     

    Jusqu'au jour où, sans l'avoir voulu, il se retrouva entouré de cendres.

     

    Certes, il en est bien conscient aujourd’hui, cette démarche à la  Don Quichotte était folle, ridicule  et absurde. Mais à l’époque, il la jugeait nécessaire, indispensable, tellement incontournable que cela explique sans doute qu’elle ait pu perdurer aussi longtemps.

     

    Ce chemin qui fut le sien, il ne l'avait pas choisi. Il s'était imposé à « l’insu de son plein gré » pour diverses raisons, qu’il a tenté plus tard, beaucoup plus tard, d'analyser et de décortiquer.

     

    Plus on voit grand et plus on tombe de haut.  Plus l’exigence est grande et plus on est frustré, puisqu’on doit à la fin, comme le héron de la fable, se contenter du modeste limaçon.

     

    Ce n’est qu’avec l’âge, lorsque les rêves, confrontés à une réalité devenue incontournable s’effritent, que cela devient douloureux.

     

    Les vieux habits devenus inutilisables, le corps, prenant conscience qu’il fait de plus en plus froid, cherche à se réchauffer.

     

    Alors, reprenant ses rêves en lambeaux éparpillés autour de lui, il tenta de s’en couvrir du mieux possible, en se résignant aux inévitables courants d’air.

     

    Même s’il en sourit aujourd’hui, il se rend bien compte qu’il y tient toujours, à ses impossibles rêves.

     

    Et, le soir, juste avant que la nuit tombe, toujours aussi bête mais rendu indulgent par la force de l’âge, il tourne inlassablement autour d’eux, les yeux mi- clos, attendant, je ne sais quel réveil d’une improbable belle au bois dormant …

     

     

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