• Le Misanthrope et Don Juan

    Comment aurait pu vieillir Alceste, ce misanthrope qui, pour fuir la société, parle à la fin de l’oeuvre de Molière, de se retirer dans le désert ?

     

    Peut on imaginer que son retour dans le monde ait vu naître le personnage de Don Juan ?

     

    Un peu comme Edmond Dantès devenu Comte de Monte Christo, ou, pourquoi pas, comme Jésus, devenu fils de Dieu, après avoir vaincu Satan dans le désert ?

     

    Zarathoustra, également, ne devint véritablement lui-même, qu’après son immersion prolongée dans la solitude profonde des sables infinis…

     

    C’est une constante chez beaucoup de personnages charismatiques de s’isoler longuement avant de réapparaître sous un jour nouveau, plus forts, plus mûrs, plus prophétiques…

     

    Molière aurait il voulu faire d’Alceste, ce personnage désabusé et mécréant, en écrivant « Don Juan » ?

     

    J’avoue y avoir pensé et avoir trouvé quelques passages pouvant inciter à y croire. Je vous fait part ci-dessous de ces quelques réflexions, totalement subjectives, mais que j’ai bien aimé peaufiner dans ma petite tête…

     

    Le Misanthrope


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    Alceste est jeune, sincère, pur. Il croit profondément qu'une vie honnête a valeur d'exemple et qu'en donnant l'exemple, il changera l'humanité.

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    Nous sommes au XVIIème siècle, le siècle de la raison. Alceste met donc toute sa raison (et sa volonté farouche) au service de l'exemple qu'il veut donner.

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    Mais il aime Célimène, son talon d'Achille, femme futile et légère dont le flirt est la raison d'être et qui joue à s'éparpiller.

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    Cet amour est paradoxal. Alceste le sait mais " la raison n'est pas ce qui règle l'amour. "

    Victime de ses contradictions, il proposera à Célimène de partir avec lui dans un désert.

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    Ce faisant, il ne pense pas demander à Célimène un sacrifice mais il est plutôt persuadé, au contraire que c'est lui qui sacrifie sa raison au profit de son amour.

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    Célimène, sensible à ce sacrifice qu'elle perçoit, propose le mariage comme compromis possible puisqu'il n'est pas question, pour elle, - tout de même - de quitter le monde pour un désert.

    Chacun des deux amants propose donc, en fin de pièce, un sacrifice réel sur sa personnalité profonde.

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    Alceste: " J'abdique ma raison au profit de mon amour pour vous mais en contre partie, soyez toute à moi et désertons ensemble le monde "

    Célimène: "Je renonce à ma liberté de plaire à qui bon me semble, je renonce à mes caprices d'enfant gâtée, je consens à vous épouser mais ne m'obligez pas aussi à fuir ce monde auquel j'appartiens et auquel ma féminité tient plus que tout."

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    Mais, ni Alceste, ni Célimène, ne sont capables d'un compromis durable.

    Le fait qu'ils s'aiment (et se respectent) les amène à proposer ce compromis mais ils sont tous les deux trop entiers pour souscrire à la proposition de l'autre.

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    Ils savent cela et se doutent que ce compromis ne durera pas.

    C'est Alceste qui refusera Célimène.

    Celle ci, blessée, sort sans ajouter un mot.

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    Alceste ne pouvant se résoudre à proposer son coeur à Eliante se voit donc contraint pour rester fidèle à ses convictions de se retirer du monde.

    De même, c'est une Célimène également piégée qui retourne à celui ci.

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    Que fera Alceste dans son désert ?

    Il reconnaîtra sans aucun doute la liberté des autres mais en même temps il renforcera la sienne propre et prendra toute la mesure de sa propre raison.

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    On ne sait jamais rien de ces passages dans le désert, mais, chez Molière, on peut en vérifier le résultat, si suivant mon hypothèse, Alceste devient...... " Don Juan. "

    Don Juan

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    J'imagine donc qu'Alceste est revenu du désert.... Il a environ quarante ans.

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    Don Juan ne saurait être cet homme jeune comme on l'a prétendu car entre 20 et trente ans,  on ne sait rien de la vie pas. Don Juan, on le devient.

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    Les certitudes " intellectuelles " d'Alceste sont " descendues " en Don Juan et le " libertin " qu'il est devenu n'a rien à voir avec le " libertinage " d'une jeunesse riche, indolente et paresseuse...

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    Alceste a beaucoup souffert. Don Juan joue maintenant de cette souffrance qui ne l'a pas quittée.

    Il a appris à vivre avec elle et sa susceptibilité de jeune homme s'est transformée en orgueil revendiqué, qu'il connaît bien, qu'il maîtrise et dont il utilise le panache.

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    Don Juan tient d'ailleurs beaucoup moins de discours qu' Alceste. Il ne cherche plus à persuader qui que ce soit.

    Il veut vivre, consumer son existence, sans se laisser encombrer par les discours moralisateurs des uns et des autres. Discours qu'il ne connaît que trop et qu'il a définitivement jugé stériles et superficiels.

    Voir l'ironie de Don Juan face à Sganarelle (Acte III fin de la scène I)

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    "Va, va, je te le donne pour l'amour de l'humanité " dit Dom Juan au mendiant qu'il ne parvient pas à faire jurer en échange d'une pièce d'or.

    J'ai lu que cette réplique fut diversement interprétée et qu'elle pose encore problème aux exégétes.

    Je l'interprète ainsi:

    Pitié pour ce mendiant, (davantage d'ailleurs pour sa misère morale que pour sa misère physique) empêtré dans ses contradictions, qui prie tous les jours le ciel et qui n'en reçoit rien.

    Mais respect aussi pour le personnage qui, malgré l'ingratitude du ciel et bien qu'il ait vraiment besoin d'un Louis d'or ne peut se résoudre à jurer.

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    L'amour de l'humanité, chez Dom Juan, c'est la reconnaissance intime de ce mélange inconscient de grandeur et de petitesse qui compose la nature humaine et qui nous rend pitoyables, et paradoxalement beaux.

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    Dom Juan est mort en expiant ses crimes car au XVIIème siècle il ne pouvait pas en être autrement.

    Mais on sent dans toute la pièce à travers le rire douloureux de Don Juan, la complicité profonde de Molière avec son personnage.

     

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    Partagerez vous mon analyse ?... Ce n'est pas sûr...Mais j'aime à croire qu'Alceste et Don Juan soient les deux versions d'un même personnage, à deux époques de leur vie...

     

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