• Première partie : Dans le Jardin des oliviers, un homme attend que les soldats viennent l'arrêter pour le conduire au supplice. Quelle puissance surnaturelle a fait de lui, fils de menuisier, un agitateur, un faiseur de miracles prêchant l'amour et le pardon ?

    Deuxième partie : Trois jours plus tard, au matin de la Pâque, Pilate dirige la plus extravagante des enquêtes policières. Un cadavre a disparu et est réapparu vivant ! À mesure que Sherlock Pilate avance dans son enquête, le doute s'insinue dans son esprit. Et avec le doute, l'idée de foi.


    L'Évangile selon Pilate a reçu le Grand Prix des lectrices de Elle 2001.


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    Extraits

    Page 28


    ....Mon ami Mochèh, que je n'avais pas quitté depuis l'enfance, perdit son fils. Il était rare, dans notre village, qu'on vît un homme pleurer un enfant car les pères, sachant toute vie précaire, pre­naient bien garde à ne pas trop s'attacher aux petits pendant leurs premières années.

     Bouleversé, Mochèh vint sangloter à l'atelier.

     - Pourquoi lui ? Il n'avait que sept ans.

     Pauvre Mochèh, les paupières closes pour retenir ses larmes, Mochèh, la tête fermée comme un poing, des épingles à l'intérieur du crâne, Mochèh qui souffrait, qui n'acceptait pas cette mort, qui protestait.

     - Pourquoi lui ? Pourquoi si jeune ? Il n'avait jamais péché : il n'avait pas eu le temps ! C'est injuste.

     Injuste... Sa raison saignait : il voulait comprendre et n'y parvenait pas.

     - Pourquoi Dieu l'a-t-il repris ? Est-ce que ça peut exister, un Dieu qui laisse périr les enfants ?

    Je parlai doucement à Mochèh.

     - N'essaie pas de saisir l'insaisissable. Pour sup­porter ce monde, il faut renoncer à toucher ce qui te dépasse. Non, la mort n'est pas une punition puisque tu ignores ce qu'est la mort. Tout ce que tu sais, c'est qu'elle te prive de ton fils. Mais où est-il ? Que sent-il ?. Tu ne dois pas te révolter : tais-toi, n'argumente plus, espère. Tu ne sais pas et tu ne sauras jamais comment pense Dieu. Ce dont tu es sûr, c'est que Dieu nous aime.

     - Un amour qui n'est pas juste.

     - Qu'est-ce que la justice ? La même chose pour tous. Alors Dieu nous donne à tous, également, la vie puis la mort. Les différences dépendent des circons­tances.

     Peu convaincu, Mochèh ne voulait plus croire. En face du mal, sa foi démissionnait. Il revenait tous les jours à l'atelier, pleurait, tempêtait, et parfois s'agaçait de mon calme.

     - Enfin, toi, tu n'éprouves rien ? Lorsque ton père est mort, tu as pleuré pourtant ! Qu'est-ce que tu pensais ?

     - Lorsque papa est parti, je me suis dit que je n'avais plus une heure à perdre pour aimer ceux que j'aime. Comme toi, Mochèh, devant le mal, je souffre, cependant la souffrance n'est pas une occasion de haïr mais une occasion d'aimer.

     Il releva la tête vers moi, semblant m'entendre enfin. Je continuai.

     - Ton fils aîné est mort ? Aime-le encore plus. Et surtout aime les autres, ceux qui te restent, et dis-le ­leur. Vite. C'est la seule chose que nous apprend la mort : qu'il est urgent d'aimer.

     De ce jour, Mochèh cessa de pleurer. Certes, il ne cessa pas de regretter l'absent mais il convertit son désarroi en affection envers les siens. Rien ne supprime le chagrin ; mais le courage peut le rendre utile et bénéfique.


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    L'Évangile selon Pilate-  Page 67

    Un jour, mes frères et ma mère fendirent la foule d'un village où je séjournais. Je savais qu'ils se moquaient de moi, de ma prétention, de ma folie. Plu­sieurs fois, ils m'avaient envoyé des messages me suppliant d'arrêter de jouer ce rôle de Christ; comme je n'y avais jamais répondu, ils venaient m'imposer un conseil de famille.

    Des curieux entouraient l'auberge où nous nous étions réfugiés, les disciples et moi.

    - Laissez-nous passer, criaient mes frères, nous sommes sa famille. Nous avons priorité. Laissez-nous passer. Nous devons lui parler.

    Les paysans, très impressionnés, leur ouvrirent un passage.

    Je me plantai à la porte pour les arrêter. Je savais que j'allais leur faire mal, mais je devais agir ainsi.

    - Qui est ma vraie famille ? Ma famille n'est pas de sang, elle est d'esprit. Qui sont mes frères ? Qui sont mes soeurs ? Qui est ma mère ? Quiconque obéit à la volonté de mon Père. Je vous vois pleins de haine, je ne vous reconnais pas.

    Je désignai mes disciples, à l'intérieur.

    - Si quelqu'un vient avec moi, et s'il ne lâche pas son père et sa mère, ses frères et soeurs, sa femme et ses enfants, il ne peut être mon disciple.

    Et je claquai la porte au nez de mes frères et de ma mère.
     
    Mes frères repartirent, ivres de rage. Mais ma mère resta, écroulée, attendant humblement à la porte. A la nuit, je la fis entrer et nous avons mêlé nos larmes.

    Elle ne m'a plus quitté jusqu'à cette nuit. Elle m'a suivi, discrète, en arrière, au milieu des femmes, avec Myriam de Magdala, permettant à chacun, y compris à moi-même, d'oublier que j'avais pu être son fils. De temps en temps, nous nous sommes retrouvés en cachette pour des baisers furtifs. Depuis ma brouille avec mes frères, elle veille sur moi car elle m'a entendu. Elle a admis que je mettais l'amour en général plus haut que l'amour en particulier. Ma plus grande et belle fierté sur cette terre est sans doute d'avoir, un jour, convaincu ma mère.

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     J'étais au bout de la patience dont une intelligence mâle peut faire preuve en face d'une intelligence femelle. Elle appartenait à ces êtres pour qui tout est signe, la tombée d'une feuille, le vol d'un oiseau, l'emploi d'un mot, la coïncidence des pensées, la direction du vent, la forme d'un nuage, les yeux des chats ou les silences des enfants. Comme les devins, les femmes ont tendance à mettre de la pensée partout, à lire l'univers comme un parchemin. Elles ne regardent pas, elles déchiffrent. Tout a toujours un sens. Si le message n'est pas apparent, il est provisoirement caché. Il n'y a jamais de faille, jamais d'insignifiance. Le monde est définitivement touffu. J'avais envie de lui répliquer que la mort n'est que la mort, qu'on ne signifie rien par sa mort, qu'on la subit, et qu'elle ne trouverait jamais d'autre sens à la mort que la ces­sation de la vie. Mais je me retins au dernier moment : Peut-être s'inventait-elle ce monde pour éviter de trop souffrir.


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    Depuis deux mille ans les théologiens se disputent - c'est leur métier, d'ailleurs - sur la conscience qu'avait le Christ de lui-même. Jésus savait-il dès le départ qu'il était le fils de Dieu ou l'a-t-il découvert progressivement ? Sa messianité lui était-elle connue de façon consubstantielle ou l'a-t-il perçue avec le temps ?

    Les quatre Evangiles me semblent, à un détail près, répondre à cette question:

    Jésus n'est qu'un homme, certes inspiré par Dieu, mais rien qu'un homme jusqu'à sa mort sur la croix. Sinon il ne souffrirait pas. Sinon il ne mourrait pas. C'est la Résurrection qui lui confère, dans sa réalité terrestre, le statut de Dieu.

    Jésus ne prend pas la parole avant l'âge de trente ans. Il mène une vie ordinaire de charpentier, sans quitter Nazareth, sans se faire remarquer outre mesure, sans provoquer aucun rassemblement. S'il était informé d'emblée de sa mission, pourquoi tarde­rait-il tant ? Cette lenteur me paraît prouver que sa messianité ne lui a été révélée que progressivement.

    Les étapes - toujours selon les Evangiles - m'appa­raissent évidentes.

     D'abord, il y a la reconnaissance par Jean-Baptiste au bord du Jourdain. Le prophète décèle dans le pèlerin Jésus le Messie qu'il annonce depuis des années. Choqué, bouleversé, Jésus disparaît quarante jours dans le désert. Que se passe-t-il pendant ces quarante jours ? Tout le monde l'ignore mais il est indubitable que ce séjour le change totalement : lorsqu'il revient au monde civilisé, il parle ! Il parle enfin !

    Cependant, parler n'est pas se nommer. Il ne se désigne pas encore comme le Messie. Lorsqu'on lui demande qui il est, il ne répond pas. Si son interlocu­teur insiste et insinue : « Es-tu le Messie ? », il répond invariablement : « C'est toi qui l'as dit. »

    Pendant des années je n'ai voulu apercevoir que le sens philosophique de cette réplique. « C'est toi qui l'as dit » me semblait exprimer remarquablement la position de Jésus par rapport au croyant : « C'est toi qui décides en ton âme et conscience si je suis le Messie ou pas, c'est toi qui choisis de me reconnaître comme Dieu, tu es libre. » Aujourd'hui, j'y vois toujours cette péda­gogie de la liberté, mais j'y décèle aussi le doute profond qui le déchire. Lui-même s'interroge : est-il bien le Messie, est-il capable d'assumer cette tâche ?

    Les doutes de Jésus, jamais les Eglises n'ont voulu en parler, motivées sans doute par le souci de présenter une version simple pour des gens simples. Quel dom­mage ! Du coup, elles oublient le courage de Jésus. Car existe-t-il un courage sans hésitation, un courage sans peur ? Comment peut-on oublier que sa dernière parole sur la croix est: « Mon Père, pourquoi m'as-tu abandonné ? »

    La première partie de mon livre est bâtie sur cette phrase qui exprime de manière bouleversante l'huma­nité du Christ, ce cri de désarroi que je n'ai jamais cessé de méditer depuis des années.

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