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    La véritable histoire de la chèvre de Monsieur Seguin

     

     

    Monsieur Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres….<o:p></o:p>

     

     

    Non seulement il les avait toutes perdues de la même façon, mais le retour de sa petite dernière, qui était parvenue à redescendre de la montagne, et le récit qu’elle lui avait fait de son escapade, l’avait convaincu que les biquettes, n’étant plus ce qu’elles étaient, il valait mieux changer son fusil d’épaule et se consacrer à l’élevage des cochons.<o:p></o:p>

     

    Avec ces bêtes là, au moins, il n’aurait pas de surprises, pas de tentatives d’évasion, pas de désillusion.<o:p></o:p>

     

    « Les cochons, se dit il, ça bouffe de tout et ce n’est pas exigeant. »<o:p></o:p>

     

    Bien sûr, ils ne sentent pas très bon, mais il suffit de les tenir éloignés de la maison, de leur faire une petite visite chaque jour pour les nourrir et tout se passera bien.<o:p></o:p>

     

    Je n’aurai plus de soucis, se dit il<o:p></o:p>

     

    Non, décidément, le récit de sa Blanquette ne lui avait pas plu.<o:p></o:p>

     

     

    Quand elle avait sauté par la fenêtre de son étable qu’il avait oublié de fermer, il avait tenté longtemps de la faire revenir. Il avait sonné de sa trompe, jusqu’à la nuit, espérant qu’elle l’entendrait et qu’elle reviendrait.<o:p></o:p>

     

    Mais non. Elle n’était pas revenue. Et M Seguin en avait pris son parti, comme tant de fois par le passé.<o:p></o:p>

     

    Et puis, environ une semaine après son départ, quel ne fût pas son étonnement lorsqu'il vit sa Blanquette redescendre le flanc de la montagne, toute guillerette et contente d’elle.<o:p></o:p>

     

    Heureux lui aussi de son retour, il l’accueillit avec une joie non dissimulée, lui demandant, d’une voix un peu fébrile, dévoré par la curiosité, de lui raconter comment elle avait pu survivre à sa rencontre avec le loup.<o:p></o:p>

     

    - Le loup ? lança Blanquette, dans un éclat de rire qui surprit désagréablement monsieur Seguin. Peuh ! Il est mort le loup. Fini ! Terminé ! Plus de loup ! On s’en est débarrassé.<o:p></o:p>

     

     - On ?<o:p></o:p>

     

    - Oui. Je n’étais pas seule. Nous étions tout un groupe. Mais puisque tu veux que je te raconte, commençons par le début.<o:p></o:p>

     

     

     

     Et voila, brave gens,  la véritable histoire de la chèvre de Monsieur SEGUIN.<o:p></o:p>

     

     

     

    Quand je sui arrivé là haut, dans la montagne, commença Blanquette, ce fut un ravissement général. Je n’avais jamais rien vu d'aussi joli. On m’a reçu comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre pour me caresser du bout de leurs branches. Les genêts d'or s'ouvraient sur mon passage, et sentaient bon tant qu'ils pouvaient. Il me semblait que toute la montagne me faisait fête. J’ai parcouru les étendues sauvages et fleuries de ce lieu paradisiaque en tout sens, broutant l’herbe verte, savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes... <o:p></o:p>

     

    J’ai rencontré aussi, en me promenant, une troupe de chamois avec leurs compagnes. <o:p></o:p>

     

    Ils ont été très gentils avec moi. <o:p></o:p>

     

    On a bavardé, on a ri.<o:p></o:p>

     

    J’ai passé une journée merveilleuse… <o:p></o:p>

    Puis, tout à coup le vent a fraîchi. La montagne est devenue violette ; c'était le soir.<o:p></o:p>

     

    J’ai entendu un hurlement dans la montagne. J’ai repensé au loup. À ce que tu m’avais dit à son sujet, à tes mises en garde…. De tout le jour je n'y avais pas pensé...<o:p></o:p>

     

    J’ai entendu l’appel de ta trompe, en bas, dans la vallée. Mais il était trop tard. La nuit tombait et je n’avais pas envie de redescendre.<o:p></o:p>

     

    C’est alors que je l’ai vu. Deux oreilles courtes, toutes droites avec des yeux qui reluisaient.<o:p></o:p>

     

    Je me suis sentie perdue. J’ai pris mes pattes à mon cou et je me suis enfuie, complètement affolée.

     

    J’ai enfin pu rejoindre, à bout de souffle et terrorisée,  mes amis les chamois, qui campaient pour la nuit, un peu plus loin.<o:p></o:p>

     

    Le loup ne m’avait pas suivie. J’ai trouvé cela curieux car il aurait pu me rattraper facilement. J’étais déja morte de fatigue, épuisée par toutes ces roulades dans les hautes herbes et les gambades de la journée.<o:p></o:p>

     

    J’ai raconté mon effrayante rencontre aux chamois. Je leur ai fait part aussi de ma stupéfaction lorsque je me suis aperçue que le loup n’avait même pas tenté de me prendre en chasse. Mais les chamois ne parurent pas étonnés…<o:p></o:p>

     

    - Ce n’est qu’un loup solitaire m’ont-ils dit. Il n’y en a presque plus ici, dans cette partie de la montagne. Il est effrayant, bien sûr, comme tous les spécimens de son espèce, mais il n’est pas dangereux. Il rôde, il s’approche, il repart. Il peut faire peur,  au début, mais il ne bronche pas. Pourquoi ? Personne ne lui a posé la question, évidemment ! Nous pensons qu’il a compris que cet endroit n’est plus son territoire. Il ne se sent plus chez lui, ici. Il doit sentir que ses jours sont comptés. Qu’il devra partir chercher ailleurs sa pitance. Enfin, nous, on l’imagine, d’après son comportement. Depuis que nous nous sommes aperçus qu’il ne présentait pas vraiment de danger, nous l’ignorons. <o:p></o:p>

     

    - Quand même ! Ai-je rétorqué. Il est impressionnant ! <o:p></o:p>

     

    - La première fois qu’on le rencontre, oui, c’est vrai. je comprends ta frayeur. Tu viens d’arriver. Mais tu verras. Tu t’habitueras. Dans quelques jours, tu ne feras même plus attention à lui.<o:p></o:p>

     

    - Pourtant, Monsieur Seguin, chez qui je demeurais, en bas, dans la vallée, me disait souvent quand je lui faisais part de mon envie de partir dans la montagne : <o:p></o:p>

    « Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne... Que feras-tu quand il viendra ? Tu te souviens de la pauvre vieille Renaude qui était ici l'an dernier ? Une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit... puis, le matin, le loup l’a mangée.<o:p></o:p>

     

     

    - Oui, mais c’est du passé tout ça. Les hommes ont fait partir les loups. Ils les ont tellement chassés qu’il n’en reste plus beaucoup. Encore ici, dans la montagne, il doit en rester quelques uns. Mais il n’y a plus de bandes. En fait, le loup que tu as vu est peut être le dernier. En tout cas, nous n’en avons pas vu d’autres. Les hommes nous ont bien rendu service. Au moins, maintenant, on peut vivre quasiment en paix. Brouter et se balader librement.<o:p></o:p>

     

     

    Je n’étais pas convaincue. Repensant à ma rencontre avec le loup, je le revoyais immobile, assis sur son train de derrière, me regardant et me dégustant par avance.<o:p></o:p>

     

    J’entendais son rire malsain de prédateur.<o:p></o:p>

     

    Sûr de lui et de sa prise….<o:p></o:p>

     

    Non, je n’étais pas rassurée par les explications de mes nouveaux amis.<o:p></o:p>

     

    Je me souvenais distinctement comme je m’étais sentie perdue, en face de lui. J’avais  pensé mourir de peur. <o:p></o:p>

     

    Et puis je me suis souvenue qu'en fait, il n'avait pas l'air en forme. Sur le moment je n'avais pas fait attention, trop effrayée pour le regarder vraiment.<o:p></o:p>

     

    - C’est vrai qu’il n’avait pas l’air d’être en bonne santé, dit elle à ses amis les chamois. Il paraissait plutôt maigre, décharné. Comme s’il n’avait pas mangé depuis plusieurs jours…<o:p></o:p>

     

    - Ne t’inquiète pas pour lui,  répondit une vieille chèvre. Les rédateurs dans son genre se débrouillent toujours…

     Et puis qu’il crève ! C’est ce qui pourrait arriver de mieux.<o:p></o:p>

     

     

    J’ai donc passé plusieurs jours insouciants avec ma nouvelle bande. C’est vrai que nous n’avons pas revu le loup et que nous avons pu, à notre aise, profiter du soleil et de l’herbe tendre de la montagne.<o:p></o:p>

     

    Je me sentais bien.<o:p></o:p>

     

    Et puis un jour, alors que nous croquions une lambrusque à belles dents, nous vîmes un peu plus loin, mon loup, toujours solitaire, toujours assis sur ses pattes de derrière, qui lorgnait, d’un œil concupiscent, de petits agneaux en train de jouer prés d’une mare.<o:p></o:p>

     

    Visiblement, ceux ci ne l’avaient pas vu et, inconscients du danger, ils s’amusaient et folâtraient prés de la berge, buvant et s’aspergeant en riant.<o:p></o:p>

     

    Je sentis monter la tension dans le groupe. Le sang de mes compagnons ne fit qu’un tour. Il se précipitèrent en chœur vers le loup afin sans doute de l’éloigner des petits, pensais je. Je suivis donc le mouvement.<o:p></o:p>

     

    Le prédateur, étonné, fixa un moment de ses yeux pointus et graves cette charge insolite, ne pouvant imaginer qu’elle était dirigée contre lui, davantage habitué à poursuivre qu’à être poursuivi.<o:p></o:p>

     

    Pendant un moment, trop surpris sans doute pour y croire, il ne bougea pas.<o:p></o:p>

     

    La troupe de chamois l’attaqua alors violement, profitant de sa stupéfaction pour lui infliger de sanglantes blessures avec leurs cornes.<o:p></o:p>

     

    Je me joignis à la curée, tout à coup bien décidée moi aussi à me débarrasser de cet encombrant voisin.<o:p></o:p>

     

    Remis de sa surprise, le loup se défendit vaillamment. Plus de dix fois, je ne mens pas Monsieur Seguin, il nous força à reculer. Pendant ces trêves d’une minute, il léchait ses plaies en hâte et retournait au combat. <o:p></o:p>

     

    Il finit par céder devant le nombre.<o:p></o:p>

     

    Epuisé, il me regarda.<o:p></o:p>

     

    Un court instant, son regard me parût refléter une tristesse infinie.<o:p></o:p>

     

    Mais je ne laissais pas la pitié m’envahir.<o:p></o:p>

     

    Combien en avait il tué, de petites chèvres innocentes, si tendres, si douces ? Et si ce n’était pas lui, n’était ce pas son frère, ou bien quelqu'un des siens  ?<o:p></o:p>

     

    Toutes, Monsieur Seguin. Toutes vos protégées, vous vous souvenez ? Il les a toutes tuées et dévorées. Je n’ai pas oublié l’histoire de la Renaude, vous savez !  Toutes ! Toutes celles qui ont croisé, par un jour fatal, son chemin.<o:p></o:p>

    Et, d’un coup de corne rageur, c’est moi qui aie achevé la bête !<o:p></o:p>

     

    Un prédateur de moins dans la montagne !... Quand ils seront tous morts, nous pourrons, enfin, vivre heureux et en paix !<o:p></o:p>

     

     

    ………………………..<o:p></o:p>

     

     

     

    Monsieur Seguin faisait la grimace. Il n’avait pas du tout l’air satisfait du récit que Blanquette venait de terminer, et surtout de la satisfaction qu'elle affichait.<o:p></o:p>

     

     

    Certes les loups étaient responsables de la mort de toutes ses chèvres, mais il n’aimait pas cette fin, et la façon dont sa, pourtant si douce biquette et ses compagnons s’étaient débarrassés de leur ennemi héréditaire.<o:p></o:p>

     

     

    Il se sentait une part de responsabilité dans cet assassinat. Car, oui, Il l'avait l'impression d'avoir entendu le récit d'une exécution, d'une mise à mort vengeresse, et cela le choquait.<o:p></o:p>

     

    N'était ce pas lui qui avait parlé du loup, dans la montagne, à toutes ses chèvres, en des termes terribles ?

     

    Maintenant il regrettait. Ça ne lui plaisait pas.<o:p></o:p>

     

    Un malaise soudain le prit à la gorge, une envie de vomir...Dans sa bouche, il ressentit un arrière goût, amer.<o:p></o:p>

     

     

    Monsieur Seguin n’invita donc pas Blanquette à rester avec lui, ou même à se reposer un moment dans son étable.<o:p></o:p>

     

    Fini, les chèvres. Plus de chèvres ! Il n’en voulait plus. Des cochons....

     

    D’ailleurs, Blanquette ne lui demanda rien.<o:p></o:p>

     

     

    Elle repartit dans sa montagne, toute joyeuse, profiter de son nouvel espace, débarrassé maintenant de tout danger.<o:p></o:p>

     

     

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    Ce que n’avait pas raconté la petite chèvre, parce qu’elle l’ignorait peut être, c’est que les agneaux qui jouaient prés de la marre, ceux qui avaient involontairement provoqués l’attaque de leurs parents, batifolaient là depuis fort longtemps. Ils savaient donc que le loup les regardait,  les observait.<o:p></o:p>

     

     

    Mais, comme seules les jeunes créatures en sont capables, par instinct sans doute, ils s’étaient rapidement persuadés qu’ils ne risquaient rien.<o:p></o:p>

     

     

    A tort ou à raison, ils avaient senti, que cette bête là n’était pas dangereuse pour eux, et ils l’avaient rapidement oubliée pour se consacrer au seul plaisir de leurs jeux.<o:p></o:p>

     

     

     

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